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le grand agent d’anarchie et de barbarie, voici le plus grand révolutionnaire de l’histoire, la peur. Consuls, échevins, maires, procureurs-syndics, la peur les dresse, les talonne, les pique : ils vont marcher devant, de peur qu’on ne leur marche dessus. Dans le Midi (comme naguère), à Cette, « ils sont tellement maltraités, qu’ils lâchent tout : le peuple a saccagé leurs maisons et leur commande : ils font publier à son de trompe que toutes ses demandes lui sont accordées. » Et voici les hallucinations de la peur : « Malheur à tous ceux qui ont part à la garde, à l’acquisition, au commerce, à la manutention des grains ! L’imagination populaire a besoin de personnes vivantes auxquelles elle puisse imputer ses maux et sur lesquelles elle puisse décharger ses ressentimens ; pour elle, tous ces gens-là sont des accapareurs (hier, des fraudeurs), et, en tout cas, des ennemis publics. — « Dans l’Ile-de-France, le bruit court qu’on jette des sacs de farine dans la Seine, et qu’on fait exprès manger le blé en herbe aux chevaux de la cavalerie. En Bretagne, il est constant qu’on exporte le grain et qu’on l’entasse à l’étranger. En Touraine, on est sûr que tel gros négociant le laisse germer dans ses greniers plutôt que de le vendre. À Troyes, on crie que tel autre, commissionné par les boulangers, a empoisonné ses farines avec de l’alun et de l’arsenic. »

Puis voici la fureur, fille de la peur, effet fréquent d’une terreur double. Des bandes commencent à courir le pays : l’armée roulante se mobilise, avec des intentions louches. Des chefs, ignorés, inconnus, se révèlent et s’imposent. « En tout attroupement, c’est le plus audacieux, le moins embarrassé de scrupules qui marche en tête et donne l’exemple du dégât. L’exemple est contagieux : on était parti pour avoir du pain, on finit par des meurtres et des incendies, et la sauvagerie qui se déchaîne ajoute ses violences illimitées à la révolte limitée du besoin. » Ce qui rend cette révolte irrésistible, « c’est qu’elle se croit autorisée, autorisée par ceux-là mêmes qui ont charge de la réprimer. » Aux cris confondus de : Vive le Roi ! et : Vive la liberté ! les paysans cessent de payer les droits, les ouvriers décrètent le prix des denrées, la viande à quatre sous, le vin à quatre sous ; (comme hier encore) dans les provinces du Midi, où les principaux impôts sont assis sur les consommations, on suspend les perceptions au nom de la puissance publique. À Agde, « le peuple menace la ville d’un pillage général si