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« 1 500 à 1 600 misérables, excrémens de la nation, dégradés par des vices honteux, couverts de lambeaux, regorgeant d’eau-de-vie, offrant le spectacle le plus dégoûtant et le plus révoltant. » D’autre part, l’immense troupeau des badauds, venus pour voir : « plus de cent mille personnes de tout sexe, de tout âge, de tout état, qui gênaient beaucoup les troupes dans leurs opérations » et dont quelques-unes paient cher leur curiosité : « le feu commença, le sang ruissela, rapporte un témoin oculaire ; deux citoyens honnêtes furent blessés près de moi. » Une fois mise en contact avec l’autre, la partie la plus froide de cette foule s’échauffe elle aussi et s’allume ; petit à petit les mêmes étincelles la traversent et la secouent toute. Subitement, et comme naturellement, elle se découvre anticléricale ; sur le passage d’un abbé, elle crie d’abord : « f… prêtre ! » Après quoi il ne tarde guère qu’un ecclésiastique soit « foulé aux pieds, lancé de main en main. » Mais elle est par surcroît, ou elle devient vite antimilitariste. « Dès que paraît un hussard, écrit Desmoulins, on crie : Voilà Polichinelle ! et les tailleurs de pierre les lapident… Hier au soir, deux officiers de hussards, MM. de Sombreuil et de Polignac sont venus au Palais-Royal… on leur a jeté des chaises, et ils auraient été assommés, s’ils n’avaient pris la fuite. » Aussi bien en veut-on encore plus à la police : « Avant-hier on a saisi un espion de police, on l’a baigné dans le bassin ; on l’a forcé comme on force un cerf, on l’a harassé, on lui jetait des pierres, on lui donnait des coups de canne, on lui a mis un œil hors de l’orbite ; enfin, malgré ses prières et qu’il criait merci, on l’a jeté une seconde fois dans le bassin (comme à Narbonne). Son supplice a duré depuis midi jusqu’à cinq heures et demie, et il y avait bien 10 000 bourreaux. » La magistrature, jadis populaire quand les parlemens résistaient au Roi, n’est pas, maintenant, mieux respectée : « En février 1789, à Besançon et à Aix, les magistrats sont honnis, poursuivis dans la rue, assiégés dans leur palais, contraints de se cacher ou de prendre la fuite. » À Strasbourg, « trente-six maisons de magistrats sont marquées pour le pillage (comme la préfecture de Perpignan). » Intendans, officiers n’en imposent ni n’intimident plus : « Le commandant de la Bourgogne (comme, en juin dernier, le sous-préfet de Lodève) est prisonnier à Dijon, avec une garde à sa porte, et défense de parler à personne sans permission et témoins. » Celui de Bretagne erre « en vagabond » dans sa province. Enfin ce suprême malheur