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ancien député italien, le docteur Provido Siliprandi[1], mon second exemple, celui qui nous touche directement et qui nous intéresse immédiatement, la description de cette « anarchie sourde, lente et dormante » où, minute par minute, l’ordre social alangui, relâché, meurt sans révolution, par simple dissolution.

Un régime qui se peut comparer à la morphine : la paix intérieure obtenue par toute sorte de concessions au jacobinisme théorique et pratique et à l’individualisme politique le plus insolent et le plus insensé ; tout le Parlement, tout le gouvernement, presque tout le pays uniquement préoccupés de petites querelles de partis et de groupes, de clocher et de personnes… Partout la lassitude, le mécontentement, l’aigreur, la mélancolie, l’ennui, et comme une hypocondrie dans toute la vie de la nation… Une indiscipline générale chez ceux qui doivent obéir, et, chez ceux qui doivent commander, une très sensible aversion du commandement… Tous les services de l’État s’en ressentent, et le temps n’est sûrement pas éloigné où ce sera un vrai malheur de recourir à l’action publique, un risque de s’adresser aux agens des diverses administrations, un danger de voyager sur les chemins de fer, un aléa de mettre une lettre à la poste, une ingénuité de confier un secret au télégraphe, et ainsi de suite… La vie politique est devenue une mêlée féroce d’intrigues et de fange, où les perfides et les effrontés se font gros et gras, tandis que les meilleurs esprits s’en détournent, troublés, paralysés, stérilisés… Les classes supérieures de la société se raccrochent à l’on ne sait quelle phraséologie académique qui voudrait exprimer des idées, mais qui n’est que le vide, avec ce sous-entendu qu’il n’y a pas à s’occuper de ce qui arrive, parce qu’il n’y a rien à y faire : que le pays va politiquement à la ruine, parce qu’il ne peut pas n’y point aller ; et que l’anarchie, au bout d’un abrutissement général, est le but inévitable de cette romantique promenade. Les gendarmes, dit-on, y sauront pourvoir en temps opportun, si l’État réussit à sauver au moins la gendarmerie !…

En attendant, une centralisation pléthorique, une bureaucratie atteinte d’éléphantiasis, un efflanquement de tous les organismes civils et militaires ;… des travaux publics colossalement et follement entrepris ;… le gaspillage élevé au rang d’institution et régnant dans tous les services ; chaque chose payée le double de ce qu’elle devrait coûter… Des finances de mineur prodigue et dévoyé. Une corruption universelle ; la propagande la plus antisociale librement tolérée et favorisée ; la magistrature devenue la servante du pouvoir exécutif, en secondant les visées et les violences ; la banque faite politique et la politique faite banque. Ce beau système s’emploie d’ailleurs non à contenir les volontés inconsidérées de la foule, mais à les exciter, à les développer et à les satisfaire, ou du moins à dépenser à tort et à travers dans l’illusoire espérance de les satisfaire ; d’où il suit que, les uns demandant le plus pour avoir quelque chose, les autres ne donnant rien parce que le moins serait encore énorme, c’est une mutuelle

  1. Capitoli teorico-pratici di politica sperimentale ; 3 vol. in-8, Mantova, 1898.