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a fait ce que font les Napolitains lorsque manque le miracle de Saint-Janvier, et que le sang ne se liquéfie pas dans l’ampoule : il a injurié le saint, tué le prêtre et brûlé la cathédrale.

Le même mal, tenant aux mêmes causes, peut, demain, se traduire ailleurs par les mêmes symptômes. Ni ces causes ne sont nouvelles, ni ces symptômes ne sont nouveaux. C’est en 1839 ou en 1840, sous le régime censitaire et avant l’introduction définitive du suffrage universel, que Tocqueville signalait, en s’en affligeant, « la mobile petitesse, le désordre perpétuel et sans grandeur du monde politique,… ce labyrinthe de misérables et vilaines passions,… cette fourmilière d’intérêts microscopiques qui s’agitent en tous sens, qu’on ne peut classer et qui n’aboutissent pas à de grandes opinions communes[1]. » Mais combien en un demi-siècle, et par le suffrage universel inorganique, ces travers se sont aggravés ! C’est en 1854 qu’Henri Heine écrivait des révolutionnaires de Février : « Les vainqueurs… n’ont pas tué l’ancien régime, ils ont mis fin seulement à sa vie apparente : le Roi et la Chambre moururent, parce qu’ils étaient morts depuis longtemps. » « La dent secrète des petites souris et des grands rats a rongé le fond du vaisseau d’État français. Il est irréparablement troué, » conclut-il[2]. Mais que de choses d’à-présent continuent aussi de vivre d’une vie apparente, qui depuis longtemps déjà sont mortes ! Et comme le trou s’est élargi depuis ce temps-là au fond du vaisseau de l’État ! M. le docteur Ferroul et M. Marcelin Albert eux-mêmes ne sont pas les premiers apôtres de leur sorte qui aient été salués des titres de « sauveur » et de « rédempteur. » Avant eux, Saint-Simon, Enfantin, Cabet, goûtèrent ces enivremens. Mais, tout de même, on n’avait pas vu depuis des siècles, en Occident, ces formidables mouvemens de foules, grisées d’une surexcitation quasi religieuse, ces transmigrations dominicales de 500 000 ou 600 000 hommes !

Ancien en ses origines, le mal d’anarchie ne nous est pas non plus exclusivement propre. Ce qui nous est propre, c’est que, sans révolution et en période normale de gouvernement, — alors qu’autre part, s’il y a des forces de révolution qui agissent,

  1. Correspondance du comte Alexis de Tocqueville. Lettres d’octobre 1839, des 14 juillet et 9 août 1840, du 24 août et d’octobre 1842, du 5 septembre 1843. — Cf. P. Thureau-Dangin, Histoire de la Monarchie de Juillet, t. VI, livre VI, ch. II, Les intérêts matériels.
  2. Henri Heine, Lutèce, Œuvres complètes, t. VI.