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exerçait sur la reine pour s’attacher l’affection du futur roi, était parvenu à en faire toute l’éducation. Par des entretiens, par des leçons de choses données devant les ateliers de Mantasoa, par l’exemple de son activité et de sa droiture, il acquit à notre civilisation comme à une religion la ferveur du jeune roi. Il en fit une âme si ouverte à la générosité, si éprise de charité et de justice que, souffrant de la misère infligée par les caprices de sa mère à son peuple, Radama le visitait en secret afin de le réconforter. Il posait des ponts là où beaucoup de paysans se noyaient régulièrement aux époques de crues, il soulageait lui-même les infortunés accablés d’impôts, il régnait incognito par ses bienfaits. Il s’était même composé une escorte d’amis sûrs, élevés dans des idées larges, qui, dispersés dans l’Imerina, lui transmettaient les doléances craintives et s’appliquaient à réparer sous ses ordres les malheurs commandés par la reine. Cette vieille femme, dont il fallait se rappeler que le nom de couronnement voulait dire « Gentille reine au centre de l’Imerina, » cachait avec art sous le masque débonnaire « d’une bonne-maman » au teint olivâtre une âme torturée de cruauté. Elle n’aima jamais qu’un être : son fils Radama, et ne pleura qu’une fois : à la mort d’un taureau chéri en qui elle adorait l’incarnation de son ancêtre Andriana. Elle lui fit faire par toute la cour des funérailles somptueuses. Assiégée par des ombiasy et des sorciers, elle s’était laissé pénétrer contre les catholiques d’une haine amère que les missionnaires de l’Angleterre civilisée, associée au besoin aux jeteurs de sort, n’avaient nul scrupule d’envenimer. La vieillesse, à mesure que son visage se ridait, multipliait dans son âme les désirs cruels : il suffisait qu’une personne lui fût apparue en rêve la nuit pour qu’elle fût exterminée immédiatement. Chaque jour, quelqu’un mourait sur ordre royal, cuit dans l’eau bouillante, verdi par le tanghin ou précipité d’un rocher. Une fois, tous les forgerons de Tananarive furent réquisitionnés pour river dans le fer, accrochés à une même chaîne, 1 237 paysans. Le règne de cette vieille femme, plus funeste que la fièvre et que la guerre, coûta 20 000 hommes.

Soutenu par une grande partie des chefs, Radama complota alors de renverser les conseillers favoris de la reine et adressa à Napoléon III une pétition où il lui demandait de les aider à délivrer le peuple. En vain Laborde attendit-il que le gouvernement de son pays répondît à ce prince qui, ayant appris de lui