seulement il nous semble que nous les voyons devant nous dans leur réalité, mais chacune de ces figures représente un aspect particulier du caractère constant, éternel, de leur race. M. Hermann se garde bien de nous cacher les défauts de cette race, — dont il est lui-même probablement issu, — et cependant, il fait en sorte que nous ne puissions nous empêcher de ressentir, pour elle, une curiosité mêlée de sympathie. Par la seule force de sa probité littéraire et de son talent, ce peintre impartial de la société juive réussit où ont échoué les Auerbach, les Kompert, et les Sacher Masoch, tous les écrivains qui ont tâché à poétiser « la vie du ghetto. »
Voici, prise un peu au hasard, l’une des pages du roman : c’est la scène du mariage. Le matin, Jettchen, à demi folle de douleur, entre dans la chambre où l’attendent ses oncles et son fiancé, ainsi que Wolgang et Jenny, qui sont les enfans de l’oncle Ferdinand, et un vieux cousin de Jules, Naphtali, venu exprès de sa petite ville pour assister à la noce :
La chambre verte était déjà remplie. L’oncle Salomon avait arboré sa tenue d’état, et la tante s’était parée de sa robe d’atlas gris d’argent. Jules avait un habit bleu tout neuf, avec d’étincelans boutons dorés : il l’avait fait faire, sans regarder à la dépense, chez le tailleur de Jason. Ferdinand était là, aussi, et le vieux Naphtali. Wolfgang se cachait dans un coin, la mine désolée ; et Jenny, en petite robe blanche à fleurs, sautait impatiemment d’un pied sur l’autre, préoccupée du compliment qu’elle allait avoir à débiter. Les deux tantes tenaient en main des mouchoirs de dentelles, dont elles s’essuyaient les yeux, de temps à autre. Et Jules promenait autour de lui un visage solennel ; et Jettchen vit qu’il avait quelque chose sous le bras, un étui de cuir, qui avait l’apparence d’une petite contrebasse.
Jettchen se demanda, en entrant, ce que tout ce monde faisait là : et elle sourit, tant le spectacle lui parut comique. Mais voici que sa tante Hannchen se jette sur elle, de toute sa largeur, et sanglote qu’elle lui souhaite, pour son jour de noces, de devenir plus heureuse qu’elle-même ne l’a été. Et voici que Jettchen comprend, tout à coup, que le petit homme bouffi qu’elle aperçoit là-bas, en habit bleu, va être son mari dès ce même jour. Cette idée, du reste, ne fait que lui traverser l’esprit. Elle en garde seulement une vague surprise, pendant qu’il lui semble qu’elle dit quelque chose. Et la voici debout auprès de Jules, et tous les autres se tiennent debout en face d’eux, raides et figés. Et voici que s’avance vers elle Jenny, balançant dans ses deux bras un coussin blanc sur lequel repose une couronne verte ; et Jenny, le visage grimaçant de peur, déclame :
- Le soleil, aujourd’hui, s’est levé si doré
- Que jamais encore on ne l’a vu tel.