qu’elle est belle ; » mais enfin, j’avais surtout gardé de Pérouse le souvenir d’une ville tranquille, sommeillant à l’ombre de ses vieilles murailles, et je trouvais une cité fiévreuse, vivante, grouillante même. Par une curieuse coïncidence, les fêtes du cinquantenaire de la célèbre Madone de la Grâce, — et une fête religieuse en Italie ne va pas sans concerts, illuminations, feux d’artifices, etc., — se déroulaient en même temps que les dramatiques péripéties du procès Modugno, qui passionnait alors l’Italie. Et j’étais arrivé le jour même où l’un des défenseurs, le très fameux avocat Bianchi, avait été assassiné, sans que d’ailleurs ce meurtre eût le moindre rapport avec le procès qu’il plaidait. Je tombais en pleine tragédie. Malgré les sentimens violens qui agitaient la foule, j’avais été frappé par sa tenue et sa dignité d’attitude. L’Ombrien, comme son voisin de Toscane, a le souci de ne point paraître ridicule ; réfléchi et sérieux, il est moins lourd que le Lombard, mais moins exubérant aussi que le Romain ou le Napolitain. Les femmes, de même, sont élégantes et de mise recherchée ; jadis on en médit quelque peu ; peut-être n’est-ce pas un simple hasard qui fit trouver à Pérouse le miroir du musée de l’Université, le plus beau miroir que l’art romano-étrusque nous ait laissé. La race se rapproche beaucoup du type florentin, avec pourtant plus de rudesse. L’Ombrie a, dans son passé, trop de siècles de guerres et de violences pour qu’il n’en reste pas encore des traces. L’histoire de Florence est presque pacifique à côté de celle de Pérouse qui, pendant deux cents ans, fut plus une forteresse qu’une cité et compta plus de tours que de maisons. Perugia turrita, l’appelait-on. Le bec menaçant, les ailes hérissées, les griffes écartées et prêtes à déchirer, son griffon fut un symbole véridique : les louves de Rome et de Sienne, les lions guelfe et vénitien, l’étalon hennissant d’Arezzo ont un abord moins hostile. Etrusque ou romaine, féodale ou démocratique, sous le joug des papes ou d’un tyran, Pérouse fit constamment la guerre. Au moyen âge surtout, écrasée entre Rome et l’Empire, déchirée par des querelles intestines, elle ne déposa jamais les armes. A une époque où l’Italie donna le jour à tant de princes illustres par leur cruauté, elle connut certainement les plus cruels. Un sonnet célèbre a flatté le Malatesta ; car, « parmi tous les tyrans qu’un peuple détesta, » les Baglioni ont le droit de passer les premiers. Dans les petites rues de la ville, tortueuses, étroites comme des couloirs, parfaits coupe-gorges
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