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lui-même ne parle pas du chemin qu’il suivit quand il revint de Rome à Pérouse. A l’aller, il n’avait même pas pénétré en Ombrie ; il s’était contenté de regarder distraitement, dormant sous un clair de lune romantique, « les restes de ces villes de l’antique Etrurie, toujours situées au sommet de quelque colline, » et il n’avait éprouvé, à leur aspect, qu’un seul sentiment, de l’indignation contre les Romains « qui vinrent troubler, sans autre titre que le courage féroce, ces républiques qui leur étaient si supérieures par les beaux-arts, par les richesses et par l’art d’être heureux. » Saint François, au contraire, passa sa vie à chanter cette vallée, à s’enivrer de sa lumière, à la boire des yeux, suivant une expression vulgaire, mais rigoureusement exacte. Il la contempla dès son enfance, à cet âge où les impressions laissent des traces ineffaçables sur une neuve imagination, où Ruskin émerveillé, contemplant la plaine de Croydon, s’écriait que les yeux lui sortaient de la tête. Les parens du jeune Bernardone habitaient à Assise, dans le haut de la ville, et, de ses fenêtres, il pouvait admirer la campagne dans toute la grâce de son printemps ou la mélancolie de son automne. Les vastes horizons aux lignes souples n’avaient plus de secrets pour lui. Même là où le Chiascio disparaît sous la verdure, ses yeux avertis pouvaient en suivre encore le cours sinueux à travers les champs. Peu de coins de nature sont plus lourds de poésie que cette vallée qui va de Pérouse à Foligno. Quelles sensations douloureuses dut éprouver le Poverello, lorsque, au retour de son voyage d’Egypte, avide de retrouver la terre natale, il s’arrêta dans la lagune vénitienne, sous les ifs funèbres du petit îlot désolé qui, depuis, lui est consacré ! Avec quelle hâte il dut quitter ce décor lugubre où tout parle de tristesse et de mort ! Comme il les voyait claires et riantes les collines d’Assise, sous le feuillage de leurs oliviers d’argent ! Et comme elles allaient accueillir avec joie le fils aimant et soumis !

Au grand étonnement, au scandale presque de mon cocher, je lui dis de ne pas s’arrêter à Sainte-Marie des Anges. C’est le souvenir le plus pénible de mes anciens pèlerinages à la colline sacrée : pourquoi le renouveler ? Certes, c’est là que fut la Portioncule, c’est là le berceau de cet ordre illustre qui donna cinq papes à l’Église : mais que reste-t-il de la cabane primitive où