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aux ormeaux, ces prés jaunissans reverdiront encore, toujours jeunes et toujours nouveaux, quand ces murs formidables seront depuis longtemps écroulés.

Aucun saint n’a plus passionné les érudits et n’a provoqué plus de commentaires savans que celui qui condamna la science et vendit, un jour, pour acheter du pain à une vieille femme, l’unique psautier de la Portioncule. Je ne sais qui a dit, assez méchamment, que saint François avait eu la haine des livres parce qu’il prévoyait quelques-uns de ceux qu’on lui consacrerait. Renan le comprit mieux que personne ; il goûtait surtout son amour de la pauvreté, cet amour si particulier et si rare que même ses disciples ne le comprirent point, qui regardèrent la mendicité comme une œuvre de piété donnant des grâces spéciales. « Comme le patriarche d’Assise, dit-il, j’ai traversé le monde sans attache sérieuse au monde, à l’état de simple locataire, si j’ose dire. Tous deux, sans avoir rien eu en propre, nous nous sommes trouvés riches. Dieu nous a donné l’usufruit de l’univers et nous nous sommes contentés de jouir sans posséder. »

Ce qui fait le charme de saint François et explique l’attrait qu’il exerce sur les esprits le plus éloignés de lui, c’est que nul n’est moins homme d’église. Il n’est pas du tout prêtre, pas du tout théologien. Il sait mal sa Bible, ignore le premier mot de la scolastique. Il connaît à peine les saints dont il devait être le plus grand. Il est surtout profondément humain. Ayant vécu de la vie de ce monde, il n’en ignore ni les tristesses ni les déboires. « Il en est de lui, dit un de ses historiens, comme du livre de l’Imitation, où les hommes les plus opposés d’idées et d’opinions trouvent leur pâture, [et qui était cher au fondateur du positivisme. Pour goûter passionnément ce livre, comme pour admirer les actes et les paroles de ce saint, il n’est pas nécessaire de croire ; il suffit d’avoir vécu, aimé et souffert. » Le fils de Bernadone, le drapier d’Assise, avait vécu, aimé et souffert. Il aurait pu faire siens les vers que l’abbé Le Cardonnel me récita, l’an dernier, sur ce petit balcon de San Pietro que j’aperçois d’ici, suspendu au flanc du coteau, ce balcon où Léon XIII venait rêver quand il était archevêque de Pérouse :


Comme le voyageur qui n’a trouvé que sables,
Chercheur d’ivresse, cœur amèrement puni
Pour avoir trop aimé les beautés périssables,
Je sais quelle tristesse est au fond du fini…