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on ne l’a pas encore sollicité. L’Angleterre a su ainsi ouvrir des débouchés faciles, chez elle, aux produits de son industrie. À ce moment, Laffitte ignorait que Stephenson venait enfin, après dix ans d’essais, de mettre au point et de rendre pratiquement utilisable la machine locomotive, qui allait révolutionner le monde. Son enthousiasme n’est pas moins grand, toutefois, que s’il eût connu cette grosse découverte.

Tant qu’il demeure sur ce terrain des idées générales relatives à l’expansion du crédit, à la nécessité de créer, en France, de nombreux moyens de transports et de faire pénétrer partout le mouvement, la vie des affaires, il parle comme un disciple éclairé de J.-B. Say, en démontrant la féconde influence des débouchés tant intérieurs qu’extérieurs. C’est dans le même esprit qu’il s’attaque aux monopoles et aux privilèges. Il y met beaucoup de vigueur. « Ces misérables sophismes, écrit-il[1], si répétés contre tous les mouvemens de l’industrie, sont du nombre des vieilles erreurs que la routine oppose toujours à l’humanité, dès qu’elle veut faire un pas. S’agit-il de détruire les monopoles, les privilèges ? les monopoleurs, les privilégiés trouvent à démontrer qu’ils protègent le commerce, qu’ils garantissent la bonté des produits, qu’ils font vivre le petit commerçant, le pauvre ouvrier. S’agit-il d’une découverte nouvelle ? On ne manque pas de démontrer qu’il vaut mieux payer davantage un produit ancien et inférieur que de délaisser ceux qui en vivent. S’agit-il de machines ? elles destituent des bras, elles laissent des ouvriers oisifs et il vaut mieux dépenser plus de temps et plus de force, à une même chose que de chercher, pour ce temps et cette force, un emploi nouveau. Toujours enfin, parce que le mouvement dérange çà et là quelques existences attachées au passé, on veut s’arrêter, et on trouve des raisons en faveur de l’ignorance, de la routine et de l’immobilité. »

Toute cette charge à fond de train contre les protectionnistes d’alors pourrait être signée par un économiste libéral. On croirait même lire un de ces vigoureux articles du Censeur européen, si éphémère[2], dans lesquels Dunoyer et Ch. Comte défendaient

  1. Inflexions sur la réduction de la rente, p. 160.
  2. Le Censeur européen, fondé en 1814, par Dunoyer et Ch. Comte, — dont le premier journal périodique le Censeur avait été supprimé par le gouvernement de la Restauration, — cessa, aussi lui, de paraître en 1819, pour les mêmes raisons : sa publication fut interdite.