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La reine Victoria à l’empereur des Français.


Château de Windsor, 15 janvier 1856.

Sire et cher frère,

La bonne et aimable lettre que je viens de recevoir de la main de Votre Majesté m’a causé un très vif plaisir. J’y vois une preuve bien satisfaisante pour moi que vous avez apprécié tous les avantages de ces épanchemens sans réserve, et que Votre Majesté en sent comme moi le besoin dans les circonstances graves où nous sommes. Je sens aussi toute la responsabilité que votre confiance m’impose, et c’est dans la crainte qu’une opinion formée et exprimée trop à la hâte pourrait nuire à la décision finale à prendre que je me vois obligée de différer pour le moment la réponse plus détaillée sur les considérations que vous avez si clairement et si consciencieusement développées. Cependant, je ne veux point tarder de vous remercier de votre lettre, et de vous soumettre de mon côté les réflexions qui me sont venues en la lisant. La réponse russe ne nous est pas encore arrivée ; nous n’en connaissons pas encore exactement les termes ; par conséquent, il serait imprudent de former une opinion définitive sur la manière d’y répondre, surtout comme le prince Gortschakoff paraît avoir demandé un nouveau délai du gouvernement autrichien, et de nouvelles instructions de Saint-Pétersbourg, et comme M. de Bourqueney paraît penser que la Russie n’a pas dit son dernier mot. Nous pourrions donc perdre une chance d’avoir de meilleures conditions, en montrant trop d’empressement à accueillir celles offertes dans ce moment. Celles-ci arriveront peut-être dans le courant de la journée, ou demain, quand mon Cabinet sera réuni pour les examiner. Nous sommes au 15 ; le 18, les relations diplomatiques entre l’Autriche et la Russie doivent être rompues ; je crois que notre position vis-à-vis de la Russie sera meilleure en discutant ses propositions après la rupture et après en avoir vu les effets. En attendant, rien ne sera plus utile à la cause de la paix, que la résolution que vous avez si sagement prise de dire, à tous ceux qui vous approchent, qu’il faut continuel’ la guerre. Soyez bien sûr que, dans l’opinion finale que je me formerai, votre position et votre persuasion personnelle seront toujours’ présentes à mon esprit, et auront le plus grand poids…