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civilisations qui se sont succédé dans l’histoire du monde, et dont les six premières sont purement aryanes. Si la race aryane avait conservé sa pureté, elle aurait maintenu sa suprématie ; du moins a-t-elle ennobli les races qu’elle a métissées, et qu’on pourrait classer d’après la proportion de sang aryan qu’elles conservent. Les deux peuples modernes que Gobineau place à la tête de notre civilisation, les Anglo-Saxons et les Germains, sont précisément ceux qui, — d’après lui, — ont gardé le plus de ce sang aryan, dont il estime au contraire la « romanité » beaucoup moins riche.

Je me borme à indiquer le noyau d’une doctrine qui prête à des développemens infinis. M. Seillière l’a extraite avec beaucoup de soin de l’œuvre de Gobineau, dans laquelle il en a montré la persistance : depuis l’Essai, qui en est l’exposé théorique et universel, jusqu’à l’Histoire des Perses, qui en est, si l’on peut dire, l’illustration ethnique, jusqu’à l’Histoire d’Ottar Jarl, pirate norvégien, conquérant du pays de Bray en Normandie, et de sa descendance, qui en est l’anecdote familiale et démonstrative. En exposant cette doctrine, M. Seillière s’est bien gardé de la prendre à son compte. Au contraire, il l’a réfutée en maint endroit de son livre : « La supériorité de la race blanche, dit-il dès le début, consiste seulement dans son aptitude à un développement plus rapide et plus complet peut-être que celui des deux autres, non pas dans le privilège d’un point de départ différent et d’une civilisation tombée du ciel (p. 27). » Et ailleurs, il note finement qu’ « il était dans la nature de Gobineau de juger aryan tout ce qui lui paraissait noble et sympathique dans l’humanité (p. 272) ; » ce qui, à coup sûr, lui facilitait beaucoup la tâche. Mais n’est-ce pas là le point faible de ces grandes théories, qui s’établissent sur la base de faits trop nombreux pour qu’on puisse les contrôler et les grouper, et aussi trop incertains, enfoncés trop loin dans les ténèbres de la préhistoire ?

La doctrine de l’Impérialisme aryan, en effet, telle que Gobineau l’a conçue, suppose établie la division par races de l’humanité et l’inégalité permanente de ces races. Or, ce sont là deux postulats discutables. M. Jean Finot a écrit un gros livre, pour démontrer que les races ne sont qu’un « préjugé[1]. » Il ne m’a pas convaincu, parce qu’il y a des vérités de

  1. Le préjugé des races, in-8o. Paris, Alcan, 1905.