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résultats prodigieux de l’ère capitaliste ou individualiste de la production humaine (p. 60). »

M. Seillière paraît donc admettre, en dernier ressort, que l’impérialisme individuel finira toujours par l’emporter sur l’impérialisme de groupe, celui-ci dût-il obtenir de passagers succès. Les théoriciens du socialisme ne manqueront pas de lui répondre qu’il ne s’agit pas ici d’un impérialisme de groupe, mais d’un impérialisme de classe ; que les classes sociales, par cela qu’il n’y en a que deux, ne peuvent être confondues avec les groupes sociaux, qui sont nombreux et mal déterminés ; que, puisque les divers conflits intérieurs, — politiques, religieux, aristocratiques, etc., — ont fini par se résoudre dans le vaste conflit économique ouvert entre les deux classes, et dont l’objet est la forme individuelle ou collective de la propriété, il faudra que l’une ou l’autre l’emporte à la fin ; que ce sera nécessairement la plus nombreuse, puisque nous vivons de plus en plus sous la loi du nombre ; et qu’alors, tout principe de lutte ayant disparu des sociétés, commencera l’ère de la paix, de la justice, du bonheur, et plus particulièrement de toutes les abstractions que les hommes n’ont jamais cessé d’invoquer à travers l’âpreté de leurs conflits matériels…

Même appuyée sur la « philosophie de l’impérialisme, » cette solution suprême de la « lutte des classes » paraîtra par trop simplifiée. Toutes sortes d’objections surgissent dans l’esprit. Les théoriciens les plus résolus des formes les plus avancées du socialisme les ont parfois entrevues. Dans l’excellent exposé que j’ai déjà cité, M. Challaye en distingue deux principales : l’une, c’est que le jeu naturel de la nouvelle organisation du monde produira quand même, peu à peu, « une aristocratie nouvelle ; » l’autre, — et celle-ci va nous conduire à une forme de l’impérialisme que M. Seillière n’a pas encore étudiée, — c’est que la concurrence entre nations peut d’un moment à l’autre substituer ses luttes sanglantes à la lutte plus sourde des classes. Il en est une troisième, dont chacun sentira le poids, et qui est si simple qu’elle a dû être invoquée plus d’une fois : c’est que, si la lutte de classes est le fond même de l’histoire, et si elle doit se terminer par l’anéantissement ou la disparition de l’une des deux classes en présence, il n’y aurait alors plus d’histoire. Ne suffit-il pas d’indiquer cette conséquence du paradoxe pour en marquer la fausseté ?…