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connaît mieux son métier, et surtout l’aime mieux, que la moyenne de ses confrères dans les autres pays. C’est là une preuve frappante de la force et de l’heureux effet des traditions pieusement gardées. Depuis un siècle, et jusqu’à une date toute proche de nous, le roman anglais s’est astreint à certaines limites esthétiques, et toujours a continué de traiter certains sujets, comme aussi d’employer à leur traitement certaines règles à peu près immuables. Il y a eu, ainsi, le roman d’aventures maritimes et coloniales, le roman campagnard, le roman « sportif, » le roman mondain et plus ou moins satirique, le roman religieux du type « anti-papiste, » et ce roman « excentrique, » ou plutôt extravagant, qui, comme j’ai eu plusieurs fois déjà l’occasion de le noter ici, tire son intérêt de l’excès même de son invraisemblance. Chacun de ces genres s’est maintenu presque intact, quant au fond, sous les changemens des modes et du goût, au point que, par exemple, tel roman de la vie en mer, que je viens de lire la semaine passée, ne diffère que très peu d’un roman du capitaine Marryat qui a ravi et passionné la jeunesse de nos grands parens ; et j’en pourrais dire tout autant des nouveaux romans campagnards, de ces idylles du Dorsetshire ou du Westmoreland qui, à la diversité près des costumes et des moyens de locomotion que l’on y voit décrits, rappellent de bien près l’œuvre des contemporains de Charlotte Brontë et de Mme Gaskell. Non pas que, au courant du siècle, tous les genres du roman aient eu cette fixité, ni que quelques-uns des vieux genres ne soient morts, et que quelques autres n’aient surgi à leur place. Mais, à côté de ces genres qui « évoluaient, » la plupart sont demeurés immobiles ; d’où il résulte qu’un jeune auteur, de nos jours, lorsqu’il entreprend d’écrire une œuvre romanesque, peut tranquillement se conformer à un programme qui lui est familier, et avec l’espoir de trouver aussitôt, pour le lire, un groupe nombreux de personnes ne lui demandant que de suivre ce programme, qui leur est également familier et cher. Il peut écrire un roman campagnard, ou maritime, ou même mondain, sans avoir à imiter tel ou tel de ses prédécesseurs en particulier, et sans avoir cependant à se mettre en frais d’originalité. Les traditions du genre le soutiennent, dirigent et règlent son effort, lui permettent de développer à son aise le germe de talent dont il se sent pourvu. En un mot, c’est à ces précieuses traditions qu’il doit, — du moins je le suppose, — de débuter dans le roman avec plus d’assurance, à la