Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 42.djvu/442

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vaste, et divers, et fécond. Il n’a point la liberté d’allures du vieux roman allemand, dont je parlais l’autre jour, et sa forme extérieure, le cadre où il est tenu de se renfermer, ressemble au moule ordinaire de notre roman français ; mais au lieu de n’y trouver que des histoires de fiançailles ou de concubinage, d’adultère ou de divorce, on y trouve autant et peut-être plus de manifestations de la réalité et du rêve que dans le roman d’outre-Rhin, politique et philosophie, ethnographie et visions mystiques, archéologie et prophétie, description minutieuse de la vie quotidienne et folle extravagance. Si j’avais à classer, suivant l’ordre des genres, les cent cinquante romans qui ont défilé devant moi, je suis effrayé du nombre des catégories qu’il me faudrait établir : mais on devine combien une telle diversité, dans la mesure même où elle rend difficile la tâche du critique, facilite et rend agréable celle du lecteur.

Ajouterai-je maintenant que le style, dans ces nouveaux romans anglais, m’a semblé très au-dessous de celui des romans d’autrefois ? Pendant tout le cours du siècle passé, les Anglais, par un privilège merveilleux, qui était peut-être encore un effet de leur attachement aux traditions nationales, ont conservé une langue littéraire, à l’écart et au-dessus du jargon de la conversation et du bas journalisme. Les plus médiocres romans des contemporains de Dickens, sans prétendre aucunement à l’élégance du style, étaient écrits avec un souci instinctif de la justesse des mots et de la correction grammaticale. Aujourd’hui, c’est comme si les jeunes auteurs s’efforçaient, d’une part, à « relever » leur style en y multipliant les tournures et les expressions les plus affectées, et, d’autre part, apportaient à leur métier une singulière ignorance du génie et des coutumes de la langue anglaise classique : ce qui produit, sur un lecteur étranger, une sensation bizarre et assez déplaisante, bien éloignée de la sensation d’honnête et sûre clarté que lui donnaient les romans anglais des générations précédentes. Pareille aventure est arrivée naguère chez nous, où nous avons vu le langage courant des romanciers, sous la double influence du journal et des maîtres de « l’art pour l’art, » devenir, tout ensemble, infiniment plus incorrect qu’auparavant et plus prétentieux ; mais l’Angleterre, jusqu’à nos jours, avait heureusement échappé à celle contagion.


Aujourd’hui même, d’ailleurs, quelques-uns de ses jeunes