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déterminer l’adhésion des roues : le chemin de fer, cet engin merveilleux qui devait révolutionner les destinées du genre humain, était créé.

L’idée que les roues de la locomotive ne pourraient pas mordre sur les rails était complètement fausse ; l’idée qu’une langue vivante ne peut pas devenir internationale ne l’est pas moins.

Blacket a dû faire une expérience sur la locomotive pour se rendre compte des réalités. Nous n’avons pas même besoin de cela, parce que l’expérience, ou plutôt les expériences, ont été faites depuis très longtemps et un grand nombre de fois. N’avons-nous pas vu le dialecte attique devenir la langue auxiliaire de l’Empire d’Orient, le toscan devenir la langue auxiliaire de l’Italie, le saxon, de l’Allemagne, et enfin, sur une plus vaste échelle, le français envahir l’Europe de Saint-Pétersbourg à Lisbonne et de Stockholm à Athènes ?

Cette idée de l’amour-propre est mal analysée. Il n’y a pas d’amour-propre qui tienne dès qu’il s’agit de jouissance, parce que tout être vivant fuit la peine et recherche le plaisir. Un grand nombre d’Anglais et d’Allemands apprennent l’italien pour lire Dante dans l’original. Leur effort est récompensé par les émotions agréables que cela leur donne. De même mon amour-propre de Russe a beau s’émouvoir, cela n’empêche pas que Racine, La Fontaine, Corneille, Chateaubriand, Victor Hugo et tant d’autres auteurs français n’aient écrit des chefs-d’œuvre dont la lecture, dans l’original, me procure des heures délicieuses. Mon amour-propre de Russe aura beau se raidir, cela n’empêchera pas que des milliers d’hommes dans l’Europe entière et en Amérique n’usent du français comme langue de conversation, et que la connaissance de cette langue ne soit pour moi une grande source de plaisir. Mettez en parallèle les froissemens d’amour-propre d’une part et les avantages d’un idiome international de l’autre : les seconds l’emporteront dans une très large mesure sur les premiers. Les faits le démontrent. Les seuls adversaires sérieux du français sont l’allemand et l’anglais. Eh bien ! l’amour-propre des plus grands rivaux de la France ne les empêche pas d’enseigner sa langue dans toutes les écoles moyennes. L’amour-propre n’empêche pas les Allemands et les Anglais de considérer comme très avantageux de parler le français et de faire de grands efforts pour y parvenir.

Certes, si une autorité quelconque venait proclamer que telle