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favorables à un autre idiome qu’au leur, il serait absurde, de la part des Français, de ne pas savoir bénéficier de leurs chances actuelles et de ne pas en tirer le plus grand profil. Ce serait absurde même au point de vue de l’avenir, car rien ne prouve que, dans quatre siècles encore, les chances ne soient pas également pour le français. Certes, si cette langue devenait, officiellement et pratiquement, l’idiome auxiliaire du groupe européen, cela lui donnerait une telle avance et lui procurerait une si forte suprématie qu’elle pourrait peut-être s’imposer un jour comme auxiliaire au globe entier.

Mais pour que les Français puissent tirer tous les avantages de leur situation privilégiée, il faut qu’ils la considèrent à un point de vue différent de celui auquel ils se placent aujourd’hui.

On ne saurait se lasser de répéter que le français devient la langue auxiliaire de l’Europe en vertu d’une évolution naturelle qui, non seulement reste inconsciente pour les Français, mais dont la réalité est même contestée par eux : cela par suite de leur désespérance après les défaites de 1870. J’ai montré au commencement de ce travail quels terribles ravages cette désespérance avait faits dans les esprits. Ainsi la plupart, des Français n’admettent pas que leur langue puisse l’emporter sur l’anglais et sur l’allemand, et ils contestent même qu’elle fasse des progrès dans le monde. Quand on montre à ces Français pessimistes les faits et les statistiques, ils hochent la tête et ne se laissent pas convaincre. Ils disent que, puisque leurs soldats ont été battus à Wœrth et à Sedan, les lois linguistiques ne peuvent pas poursuivre leur cours naturel.

Un état d’esprit aussi pessimiste que faux ne pourra pas durer éternellement. La vérité finit toujours par triompher. Tôt ou tard, les Français ouvriront les yeux à la lumière et le phénomène de gallicisation du groupe européen, qui est aujourd’hui inconscient pour eux, pénétrera enfin dans leur entendement. Ce sera un grand jour pour la France ! Il marquera une révolution d’une importance considérable. Actuellement les Français laissent la gallicisation s’opérer toute seule, ou même la contrarient : alors, ils l’aideront, et, par cela même, elle s’accélérera dans une large mesure.

Que les Français travaillent à faire de leur langue l’idiome auxiliaire de notre groupe de civilisation, c’est leur intérêt et leur gloire. Mais ce qui constitue leur devoir le plus strict à l’égard de leur patrie, c’est au moins de ne pas travailler à contrecarrer ce