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peut le perdre « gaiement. » Ces paroles ironiques soulevèrent de vives protestations, mais l’orateur n’y prit garde et continua. Il fit voir l’influence néfaste que les bureaux de Poméranie avaient d’abord sur les affaires intérieures de l’Autriche, sur le Parlement et l’administration, puis sur la situation extérieure. En cas de conflit, la Prusse serait-elle pour l’Autriche une protection ? Il y aurait toujours à craindre que la Prusse ne s’entendît avec la Russie et ne lui offrît de s’indemniser aux dépens de l’Autriche. Et lorsqu’on s’adresserait à la France dans un cas aussi extrême, on s’exposerait à l’entendre dire à son tour : « Il n’y a plus d’Europe ! » Ici l’orateur, se rappelant les plus cruels épisodes de 1870, montra l’indifférence coupable de l’Europe, bien que son intérêt lut en jeu. « Elle a assisté impassible aux horreurs de Bazeilles et d’Ablis, ainsi qu’au bombardement de Paris. Elle a laissé la Prusse pousser sa pointe à sa guise. La France se demandera un jour ce qui serait arrivé si la fortune des armes avait autrement décidé les choses, si par exemple Napoléon III s’était avancé jusqu’au Rhin. Ah ! comme on aurait vu alors la diplomatie s’agiter d’une capitale à l’autre pour l’arrêter ! Comme l’Angleterre se serait hâtée ! Comme notre Autriche elle-même aurait écrit quelques notes énergiques ! Mais c’est la Prusse qui triomphe et l’Europe s’agenouille devant elle. On n’a rien fait pour elle, rien fait pour l’humanité ! »

Voilà comment parlait un Polonais, reconnaissant de la modeste hospitalité que lui avait accordée la France, alors que nombre d’étrangers, comblés de nos bienfaits, comblés de notre or et de nos présens, ayant eu l’accès le plus facile et le plus empressé dans nos archives, dans nos musées, dans nos bibliothèques, dans nos salons, et même jusque dans nos sociétés savantes, oubliaient la France ou se réjouissaient de ses infortunes !

Klaczko terminait son discours par une citation très dure, il faut l’avouer, pour des Autrichiens, et dont d’autres peuples peuvent aussi tirer leur profit. Il constatait que c’était une illusion de croire que l’Europe pût rentrer subitement dans le repos et que la paix fût durable. « Sans doute la paix est le désir le plus ardent des peuples, mais il faut avant tout que la paix assure l’honneur des États et garantisse leurs frontières… Je finirai, ajoutait-il, par un mot un peu rude que j’emprunte à un homme d’Etat de l’Autriche d’autrefois. C’était du temps de