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magnificence. Puis, se trouvant de l’argent à discrétion, ce saint homme, en proie à la passion de bâtir, dressa la forteresse de Genji. Enfin, ne sachant plus à quoi employer son trésor, et redoutant qu’on ne découvrît son secret, il jeta l’inépuisable homme d’or dans cet étang de Genji qui s’étend encore au pied du Radjah-Ghiri, et qui est connu de tous sous le nom de Sutty-Koulam. La tradition affirme que le cadavre du Paradési s’y trouve encore enlizé dans un coin.

J’en doute. Les eaux sont à cette heure tellement basses que j’aurais certainement découvert ce torse d’or s’il fût demeuré en place. Vous connaissez, en tous cas, maintenant, la légende fondamentale de Genji. Elle semble, prouver qu’un même personnage éleva le temple de Singavéram et l’une des citadelles qui couronnent les trois monts de la fameuse place d’armes du Carnatic. La fréquence des effigies d’Anouman dans ces ruines vient encore à l’appui de la légende. Pas de pagotin où ne se voie le grand singe de pierre en posture d’adorant. Près de la porte où je suis campé, il s’en trouve un fort bien conservé, en demi-relief. Et c’est même, avec un petit Krichna qui se détache sur le pied-droit de gauche, la seule sculpture figurée qui n’ait pas été martelée. Anouman, dont les têtes, les membres jonchent partout le sol, est mêlé à l’histoire de Sandjiri. C’est lui, pas un autre, qui rapporta des Himalayas la plante sacrée pour ressusciter les soldats de Rama tués à Lancka.

Quelle que soit la vérité sur sa légende, le Sutty Koulam est pour moi une délicieuse retraite aux premières heures du matin. Avant que le soleil, dardant d’aplomb ses flèches d’or, ne me chasse vers l’ombre étouffante des porches surbaissés, je m’assieds au bord de la nappe argentée, en cet endroit où un demi-cercle de rochers circonscrit la grève plate où poussent des composées à fleurs pâles. Là viennent butiner des papillons, piérides aux ailes d’un blanc verdâtre, teintées de carmin à leur bout (Callosune Danaë). Une mangouste brune (Herpestes fuscus) se glisse parmi les blocs grisâtres. Son nez pointu, ses yeux brillans percent entre deux touffes flétries. Les nénuphars, largement étalés, servent de plancher à un oiseau léger, qui pose prudemment, en mesure, ses hautes jambes à doigts en pattes d’araignée, sur leurs palettes glauques. C’est un jacana (Hydrophasianus chirurgus), poule d’eau à longue queue de faisan. Sa robe roux bronzé se teinte de jaune sur le dos, de noir sur le