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cela, on allège le présent au détriment de l’avenir, comme les financiers qui allègent le budget de l’année en chargeant d’avance les exercices ultérieurs de combler les déficits et de payer les dettes… plus ou moins accrues.

Que ce soit là ce qu’on a fait pour les vagabonds, personne n’en doute. Les hommes compétens n’ont pas manqué de dénoncer en temps utile d’étranges circulaires comme celle d’un procureur de la République de Paris en juillet 1897. Avant cette circulaire, — qui fit école, — le fait de se trouver sur les routes sans pouvoir indiquer aucun domicile certain, à brève échéance tout au moins, sans pouvoir faire la preuve qu’on avait en vue ou qu’on avait le droit d’espérer pour le lendemain, ou enfin qu’on cherchait avec conscience et loyauté des moyens d’existence réguliers ; ce fait, disons-nous, constituait une présomption sérieuse et une charge. C’était à l’homme sur qui elle pesait à se justifier. La circulaire en question renversait les rôles. Les gendarmes n’avaient plus aucun droit contre le chemineau, s’ils n’étaient à même de prouver que cet homme, originaire des Vosges, par exemple, et rencontré dans les Pyrénées, avait commis un vol ou quelque autre acte plus grave. Autant on rendait la tâche de l’agent difficile, autant on rendait aisée celle du vagabond. Pour avoir le droit de circuler indéfiniment, il lui suffisait de montrer qu’il avait sur lui « de quoi s’assurer le vivre et le couvert » pour le jour même, de produire des certificats de travail « même peu récens » et des certificats de sortie d’un hôpital. Les auteurs de la circulaire paraissaient ignorer que, pour un vagabond, c’est un jeu de se procurer de tels certificats, qu’on se fait admettre à l’hôpital dans la seule intention d’en obtenir un, et que ces certificats se prêtent, se louent, s’échangent, se vendent avec facilité.

A cet affaiblissement de la répression commandé par les autorités supérieures, il fallait ajouter les prescriptions que les agens locaux recevaient des municipalités socialistes. En bon nombre de villes, grandes ou petites, les maires ont commencé alors à dire tout haut que le vagabondage, que la mendicité, que ce vagabondage féminin qui s’appelle la prostitution ne sont une honte que pour les prétendus honnêtes gens, et ils ont défendu d’arrêter les autres. Après toutes ces manifestations d’un état d’esprit bien connu, on ne pouvait s’étonner de voir que les affaires jugées de vagabondage et de mendicité étaient tombées de 19 356 en 1892 à 12 602 en 1899.