trop de vraies misères, qu’on ignore autant qu’on est ignoré d’elles parce qu’elles sont discrètes, modestes, résignées, courageuses jusqu’à la mort ; et être trop connue de certaines autres misères dont tout l’effort et toute l’ingéniosité ne sont tendues que vers l’art de surprendre toutes les aides qu’on peut implorer l’une après l’autre, si ce n’est pas simultanément.
Ce qui ne s’est modifié que pour se développer, c’est l’immoralité, c’est, pour parler le langage précis des criminalistes, l’ensemble des crimes et délits contre les mœurs. S’il y a ici une nuance, il est peut-être bon de la remarquer. Beaucoup, en effet, prétendent que plus les hommes ont de facilités pour satisfaire légalement certaines passions, sans assumer aucune charge, plus les honnêtes personnes doivent rester à l’abri de leurs atteintes. C’est là une conception très hasardée, à laquelle les faits ne paraissent nullement donner raison. Les facilités qui s’offrent ne diminuent pas à coup sûr. La débauche vénale prospère ; la progression des naissances illégitimes prouve que la force de résistance des jeunes filles ne s’est pas précisément consolidée. Il est donc certain que l’immoralité, qu’on peut appeler légale et tolérée, entretient l’immoralité criminelle, bien loin qu’elle lui serve de dérivatif. N’est-il pas clair en effet qu’elle entretient autour de tous le mépris de l’intégrité de la femme, comme le suicide, qu’on prend aussi pour un dérivatif de l’homicide, développe le mépris de la vie humaine, mépris qui n’affecte pas toujours les allures d’un scepticisme prudent ?
A son tour, l’immoralité développe le penchant à la violence. « Le plaisir rend l’âme si bonne, » chantait Béranger. C’est bien le cas de s’écrier : chansons ! surtout quand on entend dire que chacun prend son plaisir où il le trouve. On a vu par les chiffres des statistiques à quel degré de recrudescence les crimes violens avaient monté. Quelle en est la nature ? Quels sont les caractères saillans de cette violence au moment présent ? Si les chiffres ne le disent pas, les événemens quotidiens le disent assez. Ce qui ensanglante nos rues, ce n’est pas la violence par passion politique, comme aux temps de Terreur blanche ou rouge, ce n’est pas une ardeur inconsidérée de vengeance, ce n’est même pas la violence destinée à préparer sur grande échelle le vol et le pillage. Tout ceci, assurément, on le retrouve, on le retrouvera toujours dans un trop grand nombre de cas. Mais croyons-en le rédacteur de la statistique de 1905,