Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 42.djvu/702

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

exclusivement à l’amélioration des conditions d’existence, nous devons regretter moins encore que ce triste expédient du suicide, qui ne répare rien, soit abandonné. S’il y entre un certain affaiblissement de la conscience et du remords, le gain n’en sera-t-il pas amoindri ? Le même langage est à tenir pour les suicides par « amour contrarié » ou pour « chagrins domestiques. » L’année 1884 en enregistrait plus de 1 000. En 1904, on n’en compte plus que 873. Ici encore, nul ne regrettera que plus d’un de ces désespérés d’autrefois se résigne à ne pas quitter la vie. Mais si le fait, en toute hypothèse, est heureux, il l’est cependant plus ou moins, selon la qualité des consolations que les attristés se procurent. A chacun de nous de regarder autour de lui et de se demander pour quel genre de satisfactions, dans quelles fins, ces réconciliés aiment la vie quand même.

On a souvent dit que le suicidé devait avoir « la tête dérangée. » Pendant longtemps, c’était là l’excuse banale des familles : celui qui venait de se tuer avait cédé à un « accès de fièvre chaude, » ou à une crise du délire des persécutions. Or, bien que les cas d’aliénation mentale se soient prodigieusement multipliés, la statistique judiciaire observe d’année en année que les suicides attribués à des « maladies cérébrales, » — c’est la rubrique adoptée, — ne cessent pas d’aller en diminuant. M. Yvernès père en faisait déjà l’observation il y a vingt-cinq ans : le mouvement ne s’est pas arrêté. En 1884, ces cas dépassaient 2 000 : en 1904, ils ne sont plus que 1 300. Cette amélioration est-elle due au perfectionnement des méthodes médicales, aux progrès de la thérapeutique des aliénés, des déséquilibrés, des neurasthéniques, à la fondation d’œuvres charitables suivant la rentrée des aliénés à demi guéris dans la société ? Peut-être ! Et cependant, toutes ces améliorations sont encore bien insuffisantes, eu égard au nombre si considérable des maladies du système nerveux. Il est plus probable que les familles ne reculent plus autant devant l’aveu d’un suicide et qu’elles renoncent beaucoup moins à essayer de masquer la vérité. Mais ceci même est un symptôme de plus d’une sorte d’insouciance trop familiarisée avec tout ce qui alarmait les consciences et soulevait des scrupules. Quoi qu’il en soit, quels sont donc les suicides qui se multiplient, puisque le total en augmente ? Ceux qui sont attribués à la difficulté de supporter des souffrances physiques, — en dépit des anesthésiques et des progrès de la chirurgie, — et ceux qui