cependant, son favori. Elle lui disait : « Je vous aime autant qu’on peut aimer un frère, et je voudrais du fond de mon âme trouver l’occasion de vous le persuader par des effets plus solides que de simples paroles[1]. » Il existe même une lettre où, malgré sa « misère, » elle lui promet 800 pistoles : « C’est ce qui me reste de l’argent que le Roi m’a donné au jour de l’an. Si j’en avais davantage, je vous l’enverrais de grand cœur[2]. » On regrette de ne pas avoir la preuve qu’elle tint sa parole. Quoi qu’il en soit, Carl-Lutz finit par comprendre que Liselotte aimait mieux le chérir de loin. Il alla guerroyer contre les Turcs et mourut misérablement de la fièvre au siège de Négrepont (1688). Madame le pleura abondamment.
Son cadet, Carl-Eduard, essaya aussi d’un voyage à Paris ; mais Liselotte ne fit que le gronder, et elle était terrible quand elle s’y mettait. On se racontait qu’une Allemande, à qui elle avait fait une sortie dans le parterre de Versailles, pour avoir osé se dire sa parente, en était morte de saisissement. Carl-Eduard n’en mourut pas, mais il restait pétrifié, sans parole, et elle l’accusait alors d’être impoli. Il repassa le Rhin et fut tué à la guerre.
Le troisième Raugrave, Carl-Moritz, était un vilain avorton et un ivrogne, plein d’esprit toutefois, et très instruit. Sa tante Sophie avait rêvé pour lui une conversion fructueuse sous les auspices de Liselotte. Celle-ci répondit à la première ouverture : « (20 mai 1689.) Si je faisais venir Carl-Moritz pour en faire un abbé, il n’obtiendrait pas de bénéfice. Ils deviennent rares, et Mme de Maintenon ne protégera jamais quelqu’un m’appartenant. » Carl-Moritz mourut d’ivrognerie, et les deux plus jeunes frères[3] n’importunèrent personne pour leur carrière ; ils se firent tuer avant vingt ans. On verra en son lieu que Madame ne fit pas plus pour les filles que pour les garçons. Le parti pris, cette fois, était éclatant, et le désir de se délivrer des importunités en faveur des « pauvres innocens » entrait certainement pour une forte part dans les doléances de Liselotte sur sa pauvreté. Comme, d’autre part, elle ne pouvait pas s’empêcher de raconter