Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 42.djvu/842

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

commissaire s’avança, ordonna le silence, et déplia un avis imprimé dont le sens était que le morceau de cuivre qui, hier encore, avait le cours du rixdaler, ne valait plus rien… Le soir, à la foire de Vernamo, deux fiancés se promenaient. Derrière le tablier rayé coulaient les larmes de la jeune fille. Ils s’assirent parmi les fleurs, au bord d’un champ. La lueur rose du soir tombait derrière les lointaines forêts bleu sombre. Parmi les pins, une fumée montait d’un pauvre foyer. Hélas ! l’espoir d’un foyer s’était éteint pour eux ! Et la tête de Kersti s’enfonça davantage dans le tablier. Le fort Per enlaça la taille de sa fiancée, et des mots tendres se frayèrent un chemin à travers la houle de sa poitrine : « S’il n’y a pour nous, dit-il, ni lois ni justice, il y a pourtant le Seigneur Dieu. Nous n’avons qu’à recommencer : ce n’est pas plus grave… » Kersti leva ses yeux en larmes, et, avec une clarté d’amour et de foi, lui demanda : « Nous nous reverrons donc dans six ans ici, à Vernamo ? »

Ce petit poème, un des plus populaires de Snoilsky, m’explique, mieux qu’un livre d’histoire, ce que j’appellerai le miracle suédois. Par la fente qu’il m’ouvre sur les âmes du Nord, j’entrevois leur vie intérieure : elle a quelque chose de végétatif et de robuste comme la vie des pins qui poussent aux rocs de la Baltique et qui semblent tirer leur sève de la pierre elle-même et des reflets du ciel. Les joies et les espérances en sont aussi réduites que la poussière d’humus où ils crispent leurs racines. Toute la grandeur du pays sort de l’endurance des Per et des Kersti et de leur optimisme tacite, plus fort que Pultawa. Cette idée maîtresse donne à l’œuvre de Snoilsky une intensité d’émotion qui le sépare des Parnassiens français. Le principal personnage de ses poèmes, c’est le peuple, un peuple de paysans, silencieux dans son labeur, résigné dans ses rêves, imperturbable dans sa foi. Il reconnaît ceux qui l’ont aimé, leurs mains fussent-elles sanglantes. Il leur pardonne ses souffrances, et leurs fils dégénérés et leurs filles ingrates. Le Cheval d’Incendie, qui a piétiné l’Europe et rougi de son écume la steppe russe, avait commencé par traîner la charrue, et son poil sentait encore l’étable. Quand ce peuple n’a plus de sang à répandre, il découvre à ses fils les réserves de ses méditations et de sa pensée. La pauvre terre suédoise se fait riche aux yeux de Linné. Le savant ramasse dans la poussière les fleurs que Christine a dédaignées. Svedenborg tisse avec les songes obscurs et les längtan