de l’horizon, les sonnailles argentines des traîneaux répondent à ses matines. Toute la Dalécarlie dans cette nuit de cristal s’éveille et tinte. Les gens des fermes se sont levés dès trois heures du matin. Quelle que soit la distance qui les en sépare, c’est toujours à l’église de leur commune qu’ils veulent fêter les dimanches et les grandes fêtes. Ils aiment mieux faire cinq lieues dans la neige que de se rendre en vingt minutes à l’église d’une commune voisine, mais étrangère. Ils ont bu le café, allumé les brandons ; et le traîneau les emporte le long des routes encore obscures, dont les riverains ont éclairé leurs fenêtres aux lueurs dorées des chandelles à trois branches. Le chemin qui passe devant l’hôtel et tourne vers l’église retentit sous les souliers ferrés et crie sous les patins des traîneaux. Là-bas, au pont du Dalelf, beaucoup ont lancé leurs brandons épuisés dans les eaux libres de la rivière ; et l’ombre est rayée de rouges paraboles. Mais ceux qui viennent de moins loin les tiennent penchés presque au ras de la terre et en secouent la chevelure d’étincelles, avant de les jeter, près de l’église, sur un monceau de neige rose.
Peu à peu, la foule augmente, et les visages deviennent plus distincts. C’est la nuit de Bethléem dans l’imagination candide du Moyen Age. Entre les branches des arbres, la tour du beffroi figure un rempart de ville fortifiée. Et voici les bergers qui arrivent et les bergères. Les hommes marchent à grandes enjambées, et la lévite qui bat leurs souliers laisse voir en s’entr’ouvrant leurs bas blancs, leur culotte en peau d’élan, leur gilet en peau de mouton. Les femmes, jeunes ou vieilles, crèvent d’embonpoint sous leur courte jupe froncée à la taille et sous le corsage de cuir dont la bordure de laine a l’air de les sangler. Les femmes mariées portent un bonnet blanc uni, les jeunes filles un bonnet blanc à petites fleurs roses et bleues. Les tabliers sont rouges, bleus, verts, sauf celui des femmes en deuil, tout jaune ; car le jaune est couleur de deuil et d’enfance, et les gros bébés qu’on amène sont fagotés d’une robe jaune.
A six heures, la commune de Leksand est empilée dans sa vieille église dont les voûtes et les arcades datent du paganisme catholique. Les matines commencent. Toutes les voix, sans exception, chantent les psaumes et les chantent bien. Les chants d’église sont l’unique divertissement de ces âmes, habitantes des solitudes, la beauté dont elles se nourrissent, la seule expansion qu’elles s’accordent. L’église est restée pour elles le centre de la