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pourrait pas s’en empocher. Ah ! bien sûr, on voudrait pleurer quand on est bête et méchant et seul, et les pleurs ne servent pourtant à rien. Mais, lourdaud que je suis, il est temps que je retourne à la maison maintenant, hum ! hum ! »

Aujourd’hui, 13 janvier, j’ai vu brûler le sapin de Noël dans la maison du garde forestier où je suis descendu. Les enfans des villes ont dansé, encore une fois, autour de l’arbre illuminé. Mais ici les bougies manquaient pour une dernière illumination, et la mère l’a tout simplement jeté au feu. La maison du garde a six dépendances : une écurie, une étable, deux granges, un hangar, une cabane de provisions. Vous diriez un hameau. Trois personnes y vivent : le père, la mère et leur fils âgé de huit ans. Nous sommes à cinq kilomètres de l’épicerie ; à dix du presbytère. L’enfant va tous les jours à l’école et fait deux lieues dans la neige. Je ne sais où commence ni où finit le bourg de Lekvattnet. D’immenses espaces de bois, de lacs, de vallées en séparent les habitans. Le garde forestier chasse les renards et les gelinottes ; le reste du temps, il menuise. Sa femme accomplit lentement les soins du ménage. Le dimanche, revêtus de leurs habits d’église, ils laissent passer le convoi des heures, assis devant leur poêle, elle, les mains sur les genoux, lui, fumant sa pipe. Ils n’échangent pas dix paroles à la journée.

La ferme la plus voisine est occupée par des Finnois, car le Vermland et la Dalécarlie sont parsemés de petites colonies finnoises. Dans une grande salle, aux lits larges et bas, le poêle en pierres cimentées ouvre une gueule de four, et le toit est percé d’un large trou par où la fumée s’échappe ; mais, avant de sortir, elle séjourne entre les hautes poutres qu’a vernies sa noire patine. Les hommes, plus petits que les Suédois, collés sur la banquette, le des contre le mur, ruminent, les bras croisés, les yeux mi-clos. Les femmes travaillent, parfois accortes et rieuses, petits chevaux vaillans qui secouent leurs sonnailles et sur qui tous jettent indolemment leur fardeau.

Au dehors, la neige tombe, tranquille, sûre d’elle-même, avec la persistance et la continuité qui n’appartiennent qu’aux choses fatales. Ce n’est plus la fantasmagorie éblouissante du givre. C’est une blanche insomnie où tout s’enfle jusqu’à la difformité. Les broussailles et les arbustes forment des groupes de chimères