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— si l’on excepte, peut-être, l’Homme qui rit et les Misérables, — d’une introduction de l’« aventure » dans le domaine du roman « littéraire. »

Au contraire des Aventuriers, où l’auteur s’était amusé à n’admettre aucun rôle de femme, le dernier roman de M. Watson nous présente une gracieuse figure de jeune fille, esquissée du trait le plus fin et le plus adroit : mais cette jeune fille ne tient, dans l’intrigue, que la place d’un « accessoire, » et l’unique sujet du roman est la lutte, en pleine mer ou sur les côtes anglaises et bretonnes, de deux brasseurs d’affaires américains, Alston et Rudgwick, venus en Europe pour trancher enfin une vieille querelle. Ces deux hommes d’aujourd’hui ont beau différer infiniment l’un de l’autre par le tempérament et l’éducation, chacun correspondant à l’un des types opposés de la civilisation présente de leur pays : tous deux sont de véritables « corsaires, » qui ne reconnaissent d’autres lois que leur volonté, et ne souffrent point qu’une autorité étrangère se mêle de leurs intérêts privés, serait-ce pour les défendre ou pour les secourir. C’est précisément afin d’échapper à toute intrusion de la police américaine qu’ils ont résolu de transporter dans le vieux monde l’implacable bataille qu’ils se livrent depuis des années ; et le fait est qu’ils procèdent à l’achèvement de cette bataille avec une ardeur si sauvage, et un si parfait dédain de nos conventions sociales et morales, que nous avons l’impression d’assister à la lutte de deux bêtes féroces, dans l’immensité d’un désert africain. Encore leur férocité n’exclut-elle point la ruse : sans arrêt nous voyons l’un, puis l’autre, s’aviser de quelque nouveau stratagème pour avoir raison de son adversaire, soit que, par exemple, Rudgwick ravisse la fiancée d’Alston, qui est l’aimable jeune fille dont je parlais tout à l’heure, et s’en serve comme d’un appât pour attirer sa proie, ou qu’Alston s’empare du yacht de Rudgwick, et se lance à la poursuite de la chaloupe où s’est réfugié son terrible rival. Et non seulement le degré exceptionnel de leur dépravation donne aux figures de ces deux « corsaires » une incontestable beauté, la beauté d’échantillons choisis et caractéristiques de deux variétés de la « bête humaine ; » mais l’un et l’autre unissent à leur qualité de « beaux monstres » un certain agrément personnel qui, jusque dans leurs crimes les plus odieux, ne nous permet point de les détester. Le plus âgé, Rudgwick, nous séduit par sa rondeur joviale et sa bonhomie :