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parens. Mais, plutôt qu’un roman, ce Père et Fils est, sans aucun doute, une autobiographie. L’auteur ne nous y raconte que des faits réels, ne nous y décrit que des personnes dont le caractère et les actes ont été, exactement, tels qu’il nous les représente. Le savant fanatique et borné, sacrifiant sa science même à ses convictions religieuses, et n’ayant d’autre préoccupation profonde que d’éviter la damnation pour soi et pour ses « saints, » tandis qu’il la souhaite pour le reste des hommes ; ce personnage éminemment loyal, mais ridicule et parfois déplaisant, c’est le propre père de l’auteur anonyme ; et c’est sa propre mère que celui-ci nous montre demandant presque à Dieu l’admission prochaine de son fils au nombre des « élus, » par une perversion étonnante de sa tendresse maternelle, ou bien, sur son lit de mort, « ayant ses dernières heures illuminées » par l’espérance que Napoléon III et Victor-Emmanuel vont s’allier pourchasser le Pape de Rome, et mettre fin à « l’arrogance infernale de la Grande Babylone. » Il y a là, dans cette résignation d’un fils à étaler franchement devant nous toutes les faiblesses et tous les travers de ses parens, un phénomène psychologique qui fait songer à la publication, entreprise naguère par le fils de Robert Browning, de la plus intime correspondance amoureuse de son père et de sa mère[1] ; et je crains que la singularité de ce phénomène n’empêche maints lecteurs d’apprécier pleinement la valeur et la portée d’un ouvrage qui abonde, cependant, en renseignemens significatifs sur les déformations produites, dans des cerveaux et des cœurs de choix, par l’étroitesse, la dureté, l’accablante sévérité d’une religion toute partagée entre la croyance à la véracité littérale de la Bible et la considération continue de l’Enfer.

Car, quelque terrible que vise à être la peinture des apprêts de la fin du monde, aux derniers chapitres du roman de M. Benson, plus inquiétante encore et plus désolante est l’image qui nous est offerte, ici, de l’éducation d’une jeune âme dans ce milieu de « saints. » Qu’on se la représente, cette jeune âme, maintenue, jusqu’à près de vingt ans, dans l’ignorance absolue de tous les « divertissemens » de la vie ! Le petit héros du livre ne connaît ni une chanson, ni un jeu ; Robinson Crusoë, les contes de Grimm et d’Andersen, tout roman et tout conte lui

  1. Voyez la Revue du 15 mai 1899.