Sainte-Marie près de Passy : c’est le lieu de retraite des méditateurs. Il faisait un temps superbe. Le soleil à son midi brillait au-dessus des tours et au milieu des ruines… Nous étions vêtus de tuniques blanches et nos cheveux flottaient sur nos épaules. » On se réunissait aussi le soir. « Il était dix heures du soir et nous n’étions que cinq… Nous nous sommes assis en rond sur des tapis et nous avons fumé des tabacs d’Orient dans des pipes de bambou ; ensuite nous avons mangé des oranges et des figues sèches et nous avons lu l’Ecclésiaste et l’Apocalypse. » Il était Jeune France, déjà ! Sous l’Empire, un pamphlet en vers, la Napoléone, lui valut d’être emprisonné. Ce fut le meilleur temps de sa vie. Enfin il connaissait la paille des cachots ! Surtout qu’on n’allât pas contester l’expérience qu’il avait faite des prisons ! Rien ne pouvait davantage le chagriner. Vérification faite, il est exact qu’il a été incarcéré à Sainte-Pélagie : il y est resté trente-six jours. Il ne sortit des geôles que pour entrer dans les officines de conspirations. Ne se souciant pas d’être arrêté de nouveau, il se sauva et mena, pendant des mois ou des semaines, une existence errante à travers champs. Mérimée, qui lui succéda à l’Académie, et qui était méfiant de sa nature, insinua qu’en fuyant devant la police, Nodier avait surtout couru après les papillons. Cela fit scandale parmi ses amis. On savait combien il tenait à sa réputation de conspirateur. Devenu fonctionnaire et l’un des hommes de France dont la vie était le plus rangée, il se plut à savourer par le souvenir, à compliquer et à dramatiser ses années de vagabondage.
Ce goût des aventures il le manifeste aussi bien dans l’ordre des choses de l’esprit. Il se jette dans toute voie qui s’ouvre devant lui. Avec un des éducateurs de sa jeunesse, un proscrit, Girod de Chantrans, il herborise dans le vallon de Novilars : le voilà féru d’histoire naturelle et de minéralogie. Auprès d’un autre de ses maîtres, l’ex-capucin Euloge Schneider, rapporteur de la Commission révolutionnaire extraordinaire, il ne devient pas républicain, mais il se met au grec. Il lisait nos vieux auteurs du XVIe siècle ; il lisait les livres étrangers, ceux qui sont du Nord et ceux qui sont du Midi. Lui aussi il aurait eu droit au surnom de « Polyphile. » On l’a maintes fois loué ou blâmé de la diversité de ses aptitudes : botaniste, lexicographe, bibliophile, voyageur, poète, journaliste, romancier, historien, à quoi n’a-t-il pas touché et dans quels sentiers ne l’a pas guidé ou égaré sa fantaisie ? C’est dire que Nodier a éminemment ce don : la curiosité de l’esprit. Il est à l’affût de tout ce qui est nouveau, ou, pour mieux dire, il y va d’instinct. La curiosité intellectuelle n’est en soi aucunement une vertu