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que Nodier, — qui d’ailleurs se donne le plus souvent pour n’être que l’éditeur de ses propres livres, — aurait été, lui aussi, atteint de ce goût de la mystification, dont après lui Stendhal et Mérimée se feront une spécialité.

L’imitation des littératures étrangères, nul n’en a été un héraut plus enthousiaste que Nodier. A vingt et un ans, il faisait imprimer un recueil de pensées extraites de Shakspeare ; il présentera au public les traductions de Byron ou de Walter Scott et la publication que fait Ladvocat des Chefs-d’œuvre des théâtres étrangers, ce répertoire du drame romantique. Quant à la restauration artistique de l’ancienne France, — l’un des plus purs litres de gloire du romantisme, — c’est lui qui, dès l’année 1820, avec ses amis Taylor et de Cailleux, commence d’y travailler effectivement. Ce projet répondait chez lui aux plus profondes de ses impressions et aux plus lointains de ses souvenirs. Nodier est un provincial et qui a, comme Chateaubriand, comme Lamartine, comme George Sand, vécu dans sa province les années où l’imagination se colore de teintes ineffaçables. « C’est en province, a-t-il écrit au début de la Neuvaine, qu’il faut être enfant, qu’il faut être adolescent, qu’il faut goûter les sentimens d’une âme qui commence à se révéler et à se connaître. » Il a parcouru dans tous les sens les montagnes et les bois de son Jura : il les a fouillés en botaniste avant de se les remémorer en poète. Voilà pour la nature. Mais voici pour les monumens. Tout enfant, à Strasbourg où on l’avait envoyé rejoindre le terroriste Euloge Schneider, comme, en arrivant au petit jour, il contemplait la dentelure gothique de la cathédrale, il vit rouler à ses pieds une tête de saint ; puis ce fut un buste de la Vierge du portail qui tomba. L’auteur de ce massacre était un homme grimpé sur un apôtre de pierre. Il martelait avec fureur, brisant à droite et à gauche les reliefs du tympan, décapitant un chœur d’anges et de bienheureux. En bas, la foule applaudissait. Peut-être, en expiation de ce sacrilège, l’enfant concevait-il obscurément, ce matin-là, l’idée première à laquelle nous devons les Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France. Ils apprirent à respecter nos vieux monumens et vengèrent le moyen âge. Ils fournirent de décors le roman et le drame historique, et ne servirent pas moins à la géographie pittoresque et à l’histoire émue de Michelet.

Le romantisme eut cette fortune singulière : il existait depuis vingt ans et plus, il n’était pas encore arrivé à se définir lui-même ! A vrai dire, il n’y arriva jamais complètement. Peut-être est-ce à travers les innombrables préfaces et articles de Nodier qu’on trouverait les essais