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Maroc à l’entrée du XXe siècle : souveraineté fragmentaire et dispersée, toujours précaire, d’ailleurs ; tribus makhzen ou raïas et tribus vassales ou indépendantes ; colonnes armées ou mahallas pour le recouvrement de l’impôt. La principale différence est que le dey n’avait aucun caractère religieux, ce qui fit que, pour la conquête, nous fûmes efficacement aidés par plusieurs tribus importantes, notamment dans la province d’Oran, ainsi que M. Camille Rousset le fait ressortir, tandis qu’une puissance européenne qui se proposerait de conquérir le Maroc ne pourrait espérer une aide de ce genre. M. Ismaël Hamet cite de nombreux chefs, comme le bey de Titéri, Ben-Zamam, le chef des Flissas, le bey d’Oran, qui offrirent, dès le premier moment, leurs services à la France, et des tribus, comme les Douaïrs et Zmélas qui en 1835 rendirent de grands services à la cause française[1].

La population de l’Algérie avant la conquête était estimée à 2 millions d’âmes environ et le commerce extérieur de la Régence à 7 ou 8 millions de francs.

Voyons maintenant ce que la France a fait de ce pays si laborieusement et, comme on le verra tout à l’heure, si coûteusement conquis. Avec sa population, insuffisante sans doute, nombreuse cependant et parvenue à un certain stage de civilisation, l’Algérie n’offrait pas assez d’espaces vacans et de terres immédiatement disponibles, elle ne jouissait pas non plus d’une sécurité suffisante, pour qu’on y pût constituer une colonie de peuplement, telle que l’Australie ou le Canada ; elle n’avait pas, d’autre part, une population assez dense, assez laborieuse, assez productive pour qu’on en pût faire une colonie d’exploitation où le peuple colonisateur apporte surtout des capitaux et des capacités techniques, comme c’est le cas pour l’Inde ou l’Indo-Chine. L’Algérie devait être une colonie mixte, en partie de peuplement, en partie d’exploitation ; or, cette catégorie de colonies est la plus malaisée à mettre en train et à diriger ; le Mexique, au temps du régime espagnol, l’Afrique du Sud aujourd’hui, sont des types de ces colonies mixtes, dont l’essor est beaucoup plus troublé et plus interrompu que celui des colonies au type pur. L’Algérie, de plus, avait cette infériorité, relativement aux contrées que nous venons de nommer, qu’elle n’avait pas de mines de

  1. Ismaël Hamet, op. cit., p. 115 et 119.