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qu’elle abuse. Là-bas, autant par bon ton que par bon sens, la libre pensée a le caractère de perplexité et de tolérance qui lui sied par définition.

Homme précis en choses temporelles, l’Américain est vague en matières spirituelles, et ce vague le satisfait. A voir un si grand nombre de gens aux États-Unis qui se disent « gnostiques » ou « agnostiques, » — c’est la même chose, — sans être capables de vous expliquer en quoi consiste au juste cette secte à laquelle ils pensent appartenir, vous songez involontairement à cette saillie d’un humoriste, soutenant que « les mots qu’il ne comprenait pas étaient ceux qui exprimaient le mieux sa pensée. » Vous devinez cependant que ce qu’ils appellent « gnosticisme » c’est un protestantisme sans croyances, comme déjà leur protestantisme n’était souvent qu’un christianisme sans pratiques. Et cela se réduit à une opinion que tout est possible, sinon probable, et d’ailleurs indifférent. L’ignorance, en matière religieuse, est très grande ; peu de gens se préoccupent d’en sortir, car la majorité réfléchit rarement à ces choses.

Fût-il dénué de foi positive, l’Américain n’est pas pour cela moins crédule, ni même moins mystique. Cette contradiction est fréquente. Vous êtes tout étonné d’apprendre que ce jeune gentleman à l’esprit si net, aux muscles d’acier, qui vient de faire avec vous sa partie de tennis, est « christian-scientist, » c’est-à-dire adepte d’une religion dont l’apôtre et le pontife suprême est une vieille femme de Boston, nommée Mme Eddy, dont on ne sait si elle vit encore ou si elle est morte, parce que ses séides immédiats la séquestrent avec soin pour faire croire à son immortalité.

La Christian-science est une foi doublée d’une thérapeutique, puisque son unique originalité consiste à supprimer la douleur, en persuadant à ses adeptes qu’ils ne souffriront jamais, pourvu qu’ils se figurent ne pas souffrir. On m’a affirmé que beaucoup de malades se sont ainsi trouvés guéris. Le surplus des rites est sans importance et ne sert qu’à encadrer cette trouvaille. Or ce culte nouveau, qui ne rencontrerait sans doute en France que peu d’accueil, a là-bas, dit-on, 3 millions de fidèles, répandus un peu partout. Leur ferveur entretient des temples, en dehors de celui de Boston, dans divers Etats, et l’argent afflue entre les mains des acolytes de Mme Eddy qui en font, je suppose, le meilleur usage. A Chicago, le fondateur d’une autre secte religioso-pathologique,