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le métier, que l’ « éthos » de l’un des plus grands parmi les musiciens. Et ce musicien n’est pas seulement un des plus grands, mais celui-là peut-être qui passa longtemps et que beaucoup tiennent encore pour un des plus rebelles à ce genre d’étude, un des mieux faits pour en démontrer le vide et la chimère. Il nous en souvient, au temps de notre jeunesse, nous fûmes nous-même de ceux qui ne voyaient ou plutôt qui n’entendaient guère en lui que le maître de la raison pure. Alors nous avions peine à croire ceux qui le glorifiaient comme un maître, au moins égal, de la sensibilité profonde. Nous les croyons maintenant. Aussi bien les argumens ne manquent pas aujourd’hui, ni les preuves, où se puisse fonder cette croyance. Les derniers ouvrages consacrés par la critique au prodigieux cantor insistent de préférence sur le côté sensible, expressif et passionné de son génie. Le titre seul d’un récent et remarquable travail : Bach. — Le musicien-poète, atteste que tel fut bien le dessein de l’auteur[1]. Le même esprit anime le livre de M. Pirro et le soutient tout entier. Il en fait l’unité et la force, l’élévation et la profondeur, plus d’une fois la chaude et lyrique éloquence. « La vertu expressive, » nous affirme l’écrivain, dans une formule qui résume sa doctrine générale, « la vertu expressive n’a jamais manqué à la musique. » Et dans la musique de Bach spécialement il recherche, il découvre, il exalte cette vertu. Sans doute elle peut échapper au premier regard. Chez Bach, encore plus que chez tout autre, elle se cache, et les dehors magnifiques de la musique pure semblent d’abord offusquer le sentiment, pour ainsi dire intérieur à leur magnificence. « On ne se demande point alors si quelque discours est inscrit au milieu des entrelacs flamboyans. Dans ce rayonnement sonore qui étourdit, on ne reconnaît que la manifestation d’une force inouïe, maniée par une volonté surhumaine. Et l’on n’éprouve que le sentiment du grandiose. Le musicien doit s’arracher à cette fascination pour entendre que Bach, en des palais resplendissans, nous parle d’une voix distincte. Il nous harangue, dans le sanctuaire profond des temples élevés de sa main, et son discours n’est point vide. Il a toujours quelque message à nous faire et, comme l’orateur antique, il n’a pas d’autre intention que de nous convaincre et de nous toucher. »

Montrer dans l’œuvre entier de Bach et dans chaque élément

  1. 1 vol., par M. Schweitzer ; chez Breitkopf et Härtel, Leipzig, 1907.