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l’Africaine (entrée du Conseil), a reconnu la même analogie en quelque sorte naturelle, et s’y est, d’instinct, conformé.

Dans l’ordre rythmique, une fine analyse découvre d’autres correspondances encore. Voici les rythmes souples et légers, formules de bonne grâce, d’empressement et de courtoisie ; les rythmes qui tournent et tourbillonnent, enfermant dans le vol circulaire des vocalises les Amen ou les Alléluia triomphans ; les rythmes contenus et soutenus ; enfin, et ce ne sont pas les moins expressifs, les rythmes inégaux, tourmentés et haletans. Autant le génie de Bach, avec une longueur de souffle extraordinaire, aime à prolonger la mélodie, autant, lorsqu’il la veut incertaine, et qu’elle gémisse ou sanglote, il lui plaît de la rompre et de la hacher. Alors il l’entrecoupe de silences. Et dans la rythmique de Bach, comme en celle de tous les grands musiciens, le silence devient élément de beauté. Oui, quelquefois, autant que la parole, le son ou la note est d’argent ; mais le silence est d’or. Quand l’Apocalypse nous dit qu’il se fit tout à coup dans le ciel un silence d’une demi-heure, c’est peut-être pour mieux nous attester la perfection des célestes concerts. Bach a connu la vertu du silence. Il en a tiré d’incomparables effets. Il ne craint pas de rompre une phrase, fût-ce un mot douloureux, par ce qu’on appelle un « soupir, » et ce terme alors, dépouillant son apparence technique, reprend son acception véritable, son expression d’humanité et de mélancolie.

Qu’elle se prolonge ou quelle dure à peine, il y a toujours, nous dit M. Pirro, « quelque chose de mystérieux et de solennel dans cette trêve des voix. On les écoute encore quand elles se sont tues soudain et déjà l’on est inquiet de ce qu’elles diront quand on les entendra de nouveau. »

Rien n’est plus exact. Il est certain que le sens et la vertu d’un rythme consiste dans le silence autant que dans le son, dans le vide autant que dans la plénitude. L’œuvre, non seulement d’un Bach, mais d’un Beethoven, d’un Wagner, et même de tel ou tel contemporain : les variations sur un thème de Diabelli, maint passage de Tristan naguère, hier d’Ariane et Barbe-Bleue, chacun de ces exemples démontrerait ou rappellerait qu’en musique, en toute musique, il entre dans la beauté sonore une part de taciturne beauté.

« A force de considérer la musique comme un langage plein de métaphores, on y découvre peu à peu une étonnante richesse