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apparaissaient aux yeux les moins exercés, comme aussi l’insuffisance et l’impropriété des remèdes appliqués au mal. Le gouvernement de l’Union avait mobilisé contre les gens de San Francisco tout un arsenal de moyens judiciaires destinés à trancher la question des écoles. Mais alors même que ces moyens douteux eussent été théoriquement efficaces, qu’aurait-on gagné contre une résistance pour laquelle l’affaire scolaire n’était qu’un prétexte, la haine du travail jaune étant la vraie et profonde raison ? Sans doute il y avait deux procès engagés. Et ces procès pouvaient intéresser les jurisconsultes. L’un, pendant devant la Cour suprême de l’État de Californie, était ouvert au nom d’un enfant japonais pour lequel on réclamait l’admission dans une école publique ; l’autre était intenté devant la Cour de circuit fédérale par le gouvernement de l’Union au Board of Education de San Francisco. Mais les Californiens, battus sur ces deux points, — et d’ailleurs seraient-ils battus ? — s’avoueraient-ils vaincus ? On craignait que non. Et une sorte d’agacement s’emparait de l'opinion , favorisant l’éclosion de toutes les légendes, de toutes les fantaisies.

Un jour, c’était le capitaine Richmond Pearson Hobson, le héros du Merrimac, « l’embouteilleur » de Santiago, qui déclarait gravement au New-York Herald avoir vu, — mais de ses yeux vu, ce qui s’appelle vu, — un ultimatum remis à M. Root par le vicomte Aoki. Les intéressés démentaient aussitôt. Mais bien des gens ne les croyaient pas. On parlait de la guerre « nécessaire, » de la guerre « fatale. » M. Perkins, sénateur de Californie, la prédisait à brève échéance : « Les Japonais, disait-il, sont plus agressifs, plus tenaces, plus déterminés que les Chinois. Et il ne se passera pas longtemps avant que nous ne soyons obligés de régler une fois pour toutes nos comptes avec eux. » Les pessimistes n’avaient point de peine à découvrir, sous les incidens de surface, les motifs graves de conflit, rivalité entre le travail américain et le travail asiatique, lutte pour la maîtrise du Pacifique. La presse anglaise, habituellement mieux informée et qui, en l’espèce, n’aurait pas dû jouer ce rôle alarmiste, se faisait l’écho de ces rumeurs, parlait, elle aussi, d’ultimatum, et, à Paris, l’opinion s’accréditait d’une guerre inévitable et proche.

A distance de perspective, on se prend à douter de l’entière sincérité de cette agitation, à se demander si, par une ruse des