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il avait à calculer le prix de revient, en mortier, en briques, en main-d’œuvre, d’un bastion ou d’un mur mitoyen. Son père ne lui épargnait aucun talent ; c’était le même emportement à vouloir faire de lui un danseur, qu’un financier ou un diplomate.

De gré, de force plutôt, Victor-Amédée s’était ainsi, en trois ou quatre ans, façonné un héritier qu’il fallait, si pauvre fût la greffe, enter sur le vieux tronc de Savoie ; il fallait marier Carlin, et Carlin épousait, en 1722, une princesse de Neubourg. Celle-ci, malheureusement, mourait deux ans plus tard et, maladroitement, ne laissait pas d’enfant. Grande colère de Victor-Amédée. Peu maintenant lui importait la morte, il voulait une vivante, bien vivante, et jurait qu’il saurait prendre telles mesures qui assureraient l’avenir de sa race.

Hélas ! le vieux Roi les prit si bien et si sages, qu’il s’enliza lui-même dans la sotte aventure où devait sombrer sa vie.


II

De par la volonté de son père, à qui si peu importaient les affaires de cœur, Carlin s’était donc remarié, presque au lendemain de son veuvage. Moins hautaine que sa devancière, moins intelligente surtout, la nouvelle princesse de Piémont rachetait par sa douceur, par sa beauté, ce qui pouvait lui manquer du côté de l’esprit. Elle avait dix-huit ans, une taille à souhait, les plus beaux yeux du monde ; en un mot, Polyxène de Hesse-Rheinfeld était charmante, si charmante que Victor-Amédée craignit bientôt, comme il le disait fort crûment, que Carlin « ne s’enivrât à son propre tonneau. » De là l’idée toute simple, pour lui, de régenter l’alcôve de son fils, comme il eût régenté tel autre service intéressant l’Etat. Impossible, tant ils étaient précis, de donner les détails de cette législation, que le législateur signifiait aux intéressés avec son absolutisme accoutumé. Mais encore fallait-il s’assurer de leur obéissance.

La chose n’était pas pour embarrasser celui qui, dans sa vie, avait soudoyé tant de consciences. Victor-Amédée en trouva bien vite une toute à sa dévotion, chez la comtesse de Saint-Sébastien, qu’il venait de donner pour dame d’atours à sa belle-fille.

Vraiment, c’est parfois une bien amusante sagesse que celle des Plus sages ! Pas plus que son oncle Louis XIV n’avait soupçonné