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Avant tout, c’est un homme passionné, obsédé de ses idées, obsédé nerveusement. Il marchait dans ma chambre comme dans une cage, avec le geste, le ton bref, saccadé de l’invention sursautante…

Renan est parfaitement incapable de formules précises, il ne va pas d’une vérité précisée à une autre. Il tâte, palpe. Il a des impressions, ce mot dit tout… Les généralisations ne sont pour lui que le retentissement, l’écho des choses en lui. Il n’a pas de système, mais des aperçus, des sensations…

Renan n’est pas du monde… C’est avant tout un homme plein de son idée, un prêtre plein de son Dieu. Il s’estime à ce titre et autant qu’il faut…


Si importans ou curieux qu’ils soient, ces documens et ces textes ne satisferont pas entièrement sans doute ceux qui, sous l’auteur, aiment à découvrir l’homme. Est-ce à dire pourtant que ceux-là aussi ne trouveront rien à glaner dans la Correspondance ? Pour peu qu’ils sachent lire entre les lignes, ils sauront bien reconnaître le fond de sensibilité délicate et ardente qui, en dépit des précautions prises et des retranchemens opérés, perce plus d’une fois à travers les lettres de Taine. On pouvait du reste s’y attendre : la sécheresse de cœur s’accommode mal d’une pudeur aussi ombrageuse que celle dont l’auteur de l’Intelligence nous a donné tant de preuves ; il faut avoir quelque chose à dérober aux regards banals ou indiscrets, pour tenir à le leur dérober. Qu’on se rappelle aussi mainte page des œuvres d’histoire ou de critique où l’émotion se trahit et s’échappe, d’autant plus vive qu’elle a été plus longtemps contenue : l’article sur Franz Wœpke, l’étude sur Marcelin, les pages sur Musset, sur Byron et sur Beethoven. Voyez ici la manière dont Taine parle de sa mère qui « pendant quarante ans a été son unique amie, » et qui, ensuite, avec sa femme et ses enfans, « a toujours eu la première place dans son cœur. » Son beau-père devient très vite pour lui « l’ami le meilleur, le cœur le plus chaud qu’il eût jamais rencontré. » Quand il fut élu à l’Académie, il disait : « Si j’ai désiré réussir, c’est principalement à cause du plaisir que cela devait faire à deux personnes : ma mère et mon beau-père. » Leur mort presque simultanée à tous deux lui fut un coup terrible, et dont il mit longtemps à se relever. Ses amitiés passionnées et un peu jalouses pour Paradol et pour Édouard de Suckau ne sont pas moins significatives. « L’amitié est un mariage, » écrivait-il au premier. Et au second : « Je suis fou vraiment, j’ai un besoin passionné d’embrasser quelqu’un que j’aime. J’aurais un plaisir inexprimable à te serrer la main, et