Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 43.djvu/552

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Châteaubriand, — ou tel qu’on le lui avait présenté jusqu’alors, ni dans les doctrines philosophiques, je veux dire quelque chose qui, avant même de satisfaire sa raison, satisfît son instinct de poète, son imagination et sa sensibilité d’« artiste, » il le trouvait dans le panthéisme ; et ce fut là, à n’en pas douter, — l’aveu est formel, — la raison déterminante, la raison foncière de son choix. Impossible de faire plus clairement entendre qu’en pareille matière, l’intelligence pure authentique et légitime après coup les aspirations et les besoins de la sensibilité.

Quoi qu’il en soit, le jeune homme avait enfin trouvé le point fixe qu’il cherchait depuis si longtemps. De ce point de vue nouveau, « la métaphysique lui parut intelligible et la science sérieuse ; » il put « embrasser tout l’horizon philosophique, comprendre l’opposition des systèmes ; » il « aperçut l’enchaînement et l’ensemble. » Il « possédait d’ailleurs la méthode, » et il « se mit avec ardeur au travail. » Les dernières lignes de cette confession sont fort belles, et peignent au vif la haute personnalité morale qui s’y traduit :


Aujourd’hui j’expose ce que je crois avoir trouvé ; mais en ce moment même, je prends l’engagement de continuer mes recherches, de ne m’arrêter jamais, croyant tout savoir, d’examiner toujours de nouveau mes principes ; c’est ainsi seulement qu’on peut arriver à la vérité.


Il y a un point sur lequel ce noble engagement de la vingtième année n’a pas été pleinement tenu. Taine a plus d’une fois rencontré le christianisme sur sa route ; il l’a observé, il l’a étudié[1], et je n’oublie pas l’émouvant hommage qu’il lui a rendu dans les Origines ; et néanmoins, l’on peut dire qu’à cet égard il n’a pas « examiné de nouveau ses principes : » il en est resté, au fond, tout au fond, sur la question religieuse, à ses impressions de la quinzième année. Si scrupuleux par ailleurs, il négligea de

  1. Pendant sa seconde année d’École normale, il avait complété ses études de philosophie par des recherches sur le christianisme. (Correspondance, t. I, p. 119-120.) — J’ai eu entre les mains quelques-unes des notes qu’il avait prises sur ce sujet : elles m’ont paru quelque peu rapides, et je crois qu’un spécialiste en ces sortes de questions trouverait l’enquête poursuivie par le jeune philosophe sur les origines chrétiennes bien incomplète et superficielle. Je sais, qu’en pareille matière, comme du reste dans toutes les sciences dites morales, l’état d’esprit avec lequel on aborde telle ou telle étude importe beaucoup plus que l’examen détaillé, approfondi des textes et des questions : encore faut-il qu’on ne puisse pas nous reprocher d’avoir, même involontairement, négligé tel aspect essentiel des questions étudiées.