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La nature est Dieu, le vrai Dieu, et pourquoi ? Parce qu’elle est parfaitement belle, éternellement vivante, absolument une et nécessaire. N’est-ce point parce que leur Dieu est tel, que les chrétiens l’aiment ? Et si nous n’en voulons point, c’est que ses caractères humains l’avilissent, jusqu’à en faire un roi, ou un amant… Ceux qui nient que ce Dieu puisse être adoré ignorent les ravissemens de la science. L’homme qui, parcourant les lois de l’esprit et de la matière, s’aperçoit qu’elles se réduisent toutes à une loi unique, qui est que l’Être tend à exister ; qui voit cette nécessité intérieure, comme une âme universelle, organiser les systèmes d’étoiles, pousser le sang de l’animal dans ses veines, porter l’esprit vers la contemplation de l’infini ; qui voit le monde entier sortir vivant et magnifique d’un unique et éternel principe, ressent une joie et une admiration plus grandes que le dévot agenouillé devant un homme agrandi… » C’est déjà l’« hymne » célèbre qui termine les Philosophes classiques.

Les religions se rendent rarement justice les unes aux autres ; elles se méconnaissent souvent et ne se comprennent pas toujours. La rivalité de leurs ambitions et de leurs espérances nuit à, la sérénité de leur pensée, à la lucidité de leur regard. Cette religion de la science, dont Taine fut un des prophètes, — car déjà il confond, comme il le fera toute sa vie, la « science » et la « philosophie, » — cette religion de la science ne pouvait faire exception à la loi commune. Dans les lettres de jeunesse, notamment, le mépris à l’égard du christianisme s’étale d’une manière parfois bien naïve. « Je t’en supplie, écrit Taine à Paradol, ne reste pas où tu en es. Les chrétiens eux-mêmes, Descartes, Malebranche, sont supérieurs à toi en ce moment ; cela n’est pas honorable. » Une autre fois, il lui écrit : « Tu as bien souffert en entendant ton jeune ami dire : Qui sait si en mourant je n’appellerai pas un prêtre ? Avec tes opinions chancelantes et probables, es-tu sûr que tu n’en feras pas autant ? Ne ris pas. M. Gratry, élève des plus distingués de l’Ecole polytechnique, ayant obtenu le prix de philosophie au concours, adepte passionné de Saint-Simon pendant longtemps, s’est fait prêtre catholique ; il est notre aumônier maintenant. Cela est terrible à penser, n’est-ce pas ? » Et il ajoute un peu plus loin : « Mon Dieu n’a rien de commun avec le Dieu-bourreau du christianisme, ni le Dieu-homme des philosophes du second ordre. » Accent à part, on pourrait croire que l’Encyclopédie a passé par