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christianisme] pour nous retenir sur notre pente natale… Ni la raison philosophique, ni la culture artistique et littéraire, ni même l’honneur féodal, militaire et chevaleresque, aucun code, aucune administration, aucun gouvernement ne suffit à le suppléer dans ce service. » Qu’est-ce à dire ? et comment concilier tout cela ? Jadis, c’est tout le christianisme qu’il répudiait en bloc ; et le protestantisme ne trouvait pas plus grâce à ses yeux que le catholicisme : « Oh ! cher ami, écrivait-il en 1856 à Paradol, ne nous rends pas protestans, laisse-nous voltairiens et spinozistes… Arrière les bouchers, les fanatiques, les trembleurs, les puritains, les inventeurs du cant. Gardons la moquerie, la hardiesse d’esprit, voire les licences de l’Ecole. » Quelques années plus tard, — il avait vu l’Angleterre et longuement étudié la littérature et la civilisation anglaises, — ses idées s’étaient modifiées sur ce point. Dans des notes personnelles, qui sont datées d’octobre 1862, et qu’on nous a conservées, il disait :


J’ai bien un idéal en politique et en religion ; mais je le sais impossible en France ; c’est-pourquoi je ne puis avoir qu’une vie spéculative, point pratique. Le protestantisme libre comme en Allemagne sous Schleiermacher, ou à peu près comme aujourd’hui en Angleterre… Mais le protestantisme est contre la nature du Français… Rien à faire, sinon… à amoindrir la violence du catholicisme et de l’anticatholicisme, à vivoter avec des tempéramens…


Que Taine n’a-t-il profité de ses voyages en Angleterre pour étudier sur place les choses et les hommes du mouvement d’Oxford ! Peut-être cette étude l’eût-elle amené à modifier également ses vues sur la nature et sur l’avenir du catholicisme. Mais visiblement, il a ignoré et Wiseman, et Manning, et même cet admirable Newman. Les Notes sur l’Angleterre, qui ont été rédigées définitivement pendant la guerre, et publiées en 1871, ne font aucune allusion aux héros et aux événemens de la renaissance catholique anglaise, et il est à tout le moins fâcheux que cet élément essentiel du problème religieux contemporain lui ait complètement échappé.

C’est donc uniquement du côté du protestantisme qu’il apercevait, « dans le lointain, » entre « ces deux collaboratrices, la foi éclairée et la science respectueuse, » un accord possible et souhaitable ; et cette idée, qui depuis longtemps, on l’a vu, lui tenait au cœur, est, on le sait, très nettement exprimée dans les