Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 43.djvu/582

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Comme l’esprit, le caractère cède à son humeur. Rien n’arrête sur sa pente une personnalité forte que ne contient pas une sociabilité affinée, active. Les salons, la Cour, la conversation ont durant des siècles façonné notre caractère à la conformité. Les originaux sont l’exception chez nous, dans l’art aussi bien que dans la vie. Les plus fameux personnages de nos romans sont des types, je dirais presque des symboles, tant l’universel transparaît en eux à travers le particulier. Rappelons-nous Eugénie Grandet ou Julia de Trécœur, Mme Bovary, Rastignac, Rubempré, Numa Roumestan, Tartarin. Les personnages les plus saisissans accentuent des caractères généraux, non individuels. Le roman anglais nous présente ordinairement des physionomies plus déterminées, plus singulières, et il nous peint avec complaisance des originaux, des excentriques. De son premier roman, The Ordeal of Richard Feverel, à son dernier, The amazing Marriage, de sir Austin au comte de Fleetwood, M. Meredith nous en a donné une galerie où se détachent en pied et grandeur naturelle Hippias Feverel, dit la Dyspepsie, Adrian Harley, le jeune sage cynique, Roy Richmond, M. Périclès…

C’est qu’en effet l’individualisme joue à l’aise dans ce milieu où il n’intéresse aucun organe essentiel de la vie sociale. Il peut se donner libre carrière à la surface, car le fond est assuré, hors de ses prises. Il n’y a pas de peuple plus solidement enraciné dans la tradition ; et c’est ce que nous montrent aussi les romans de M. Meredith. Il passe pour un esprit très avancé en Angleterre, un radical. Il a peint avec une complaisance évidente des types comme Nevil Beauchamp, ce jeune officier noble et de grande famille tory, qui se lance dans l’action politique et va jusqu’à se proclamer républicain ; comme le docteur Shrapnel, conçu à l’image de nos républicains de 1848, naïfs et ardens, rêveurs et réformateurs, théoriciens épris d’idéologie humanitaire et de vastes architectures sociales. Certes on ne peut pas dire que l’auteur de Beauchamp’s Career et des Aventures de Harry Richmond ait, comme ses compatriotes en général, le fétichisme de la tradition sociale. Sans parler des autres traits épars dans son œuvre, il a dressé avec sir Willoughby Patterne, de Patterne Hall, une incomparable figure de l’égoïsme anglais, tel qu’il peut s’épanouir à la faveur de l’esprit de caste et des institutions aristocratiques. Il y a dans la mercuriale du professeur allemand démocrate à Harry Richmond une rude attaque