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avec la nature, doit participer de son inconsciente sagesse. Sous la forme la plus humble, c’est une sorte d’instinct. M. Meredith nous présente plusieurs de ces personnages tout proches de la terre, que nous retrouvons dans la plupart des romans anglais. Ses paysans, — Mas’Gammon entre autres[1], — comme ceux de M. Thomas Hardy, ont quelque chose de si primitif qu’on croit voir en eux, suivant l’énergique expression d’un critique anglais, à travers ce qu’ils ont d’humain, le limon des origines[2]. Mais insensiblement leur humanité se dégage et s’élève : solide et tranquille encore, elle s’approche assez de nous pour que nous puissions nous réconforter à son contact. En ce genre, l’étonnante figure de Mrs Berry qui, vue du dehors, peut paraître d’abord caricaturale, n’a pas été surpassée. Mrs Berry est la nourrice de Richard Feverel. Sans le savoir et sans le vouloir, car elle l’a depuis longtemps perdu de vue, elle l’assiste au moment de son mariage secret et c’est chez elle qu’il trouve un asile. D’instinct, elle est du côté de la nature et de l’amour. Que sera-ce quand elle aura reconnu son cher baby ? Elle accourt auprès de sa femme, dès qu’elle y devine sa présence nécessaire, et elle devient la nourrice de l’enfant. Elle est toujours là, comme la vérité de la vie, l’infaillible bon sens, la force des choses et leur douceur. « Berry à la rescousse, » dit le titre d’un des chapitres. La saveur de ses propos ne saurait passer dans une autre langue. Mais tous les lecteurs pensent d’elle ce qu’en dit la gracieuse et intelligente lady Blandish : « J’aimerai cette Mrs Berry jusqu’à la fin de mes jours. En vérité, je crois qu’elle a deux fois plus de raison qu’aucun de nous, — science comprise et tout le reste[3]. »

Mais la raison peut être plus consciente, plus efficace aussi, quand elle éclaire et soutient la volonté, quand elle domine les hasards de la vie et assure l’homme contre leur fatalité autant que contre ses propres faiblesses. Il y a une forme de sagesse supérieure au sens commun et aux impulsions naturelles : c’est l’intuition d’une âme forte et sereine, la constance d’une volonté droite ; c’est le « caractère. » Les plus beaux héros de M. Meredith, ses héros favoris, ceux qui ont le dernier mot dans ses livres, parce qu’ils doivent l’avoir dans la vie, sont des

  1. Rhoda Fleming.
  2. Richard Le Gallienne, George Meredith, Some Characteristics, p. 63.
  3. The Ordeal of Richard Feverel, chap. XLV.