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offensent la saine raison et l’impartiale justice, sont faux dans l’humilité, ou rongés de vanité, individuellement ou en masse, l’Esprit d’en haut apparaîtra humainement malin et jettera sur eux une oblique lueur, suivie de salves de rire argentin. C’est là l’esprit comique[1].


Nous avons là comme un aperçu ou un programme de l’œuvre entier de M. Meredith. Nous en voyons surtout l’intention et le sens. Cette muse comique qui l’inspire, c’est l’amour de la vérité, de la vie telle qu’elle pourrait être, telle qu’elle est quand elle échappe aux ravages de nos faiblesses, de nos passions ou de nos vices ; c’est le goût de la rectitude et de l’équilibre, contre lesquels toute faute met l’homme dans une attitude comique. Savoir rire de cette attitude, voilà la véritable sagesse, entre la folie des sentimentalistes ou agelastes, qui ne rient de rien, et celle des hypergelastes, qui rient de tout. Mais pourquoi rire ? Ne serait-il pas plus philosophique de discuter, plus noble de s’indigner, plus humain peut-être de s’attrister, plus juste enfin de blâmer ou de plaindre ? Non certes, et il importe ici de bien comprendre la pensée de M. Meredith, intimement liée à sa conception de l’esprit comique. La discussion est oiseuse, l’indignation inintelligente, la tristesse impuissante. Seul le rire est sensé et efficace : il constate un écart et son coup de fouet ramène dans la voie. Né du sentiment de la disproportion, il l’éveille à son tour. Il est comme une riposte directe du bon sens qui, frappé d’un rayon, le renvoie aussitôt, — dans l’œil. « Et ceci, de soi-même, vous épargne la peine de l’ardeur satirique et l’amer désir de frapper lourdement. Vous partagez le sublime courroux qui ne veut pas blesser les imbéciles, mais simplement démontrer leur sottise… La perception du comique donne la haute consécration. Vous devenez citoyens d’un monde choisi, le plus élevé que nous connaissions par rapport à notre vieux monde, qui n’est guère ultra-céleste. »

Sans colère et sans haine, car il voit la misère de la vie, cet esprit comique n’exclut pas le pathétique, bien au contraire : en promenant ses clartés sur les discordances que sa finesse de perception sait découvrir, il nous laisse voir ce qu’elles ont de douloureux et de tragique. Alfred de Musset est allé bien loin dans l’esprit de Molière quand il a salué

  1. Essai sur la Comédie, traduction Henry-D. Davray. Paris, Société du Mercure de France, 1898.