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Nulle part peut-être autant que dans l’opulente Angleterre, la vie n’a prodigué sur un fond persistant de simplicité, voire de rudesse, l’infinie variété de ses raffinemens et de ses nuances. C’est George Meredith lui-même qui, avec une intuition profonde, a comparé la vie anglaise à une fleur dont le temps, comme un jardinier capricieux, s’est amusé à varier délicatement les dessins et les teintes[1]. Et il nous laisse entendre que son art ne se dérobera pas au soin de les noter, c’est-à-dire rivalisera de complication avec leur diversité et de subtilité avec leur richesse. La pensée la plus simple et le sentiment le plus universel se réaliseront sous des formes rares, imprévues, comme les manières d’aujourd’hui enveloppent de leur noblesse ou de leur grâce, de leur élégance ou de leur affectation, les actes primitifs, dont la persistance est reconnaissable encore chez ce peuple si fortement enraciné dans ses habitudes et ses caractères. L’expression est luxuriante chez M. Meredith comme sont luxueux les dehors de la vie anglaise qui, énergique et rude au fond, raffine indéfiniment et sans mesure sur les apparences. Regardez un intérieur anglais, coquet, paré et si plaisant aux yeux. Toutes ces broderies empesées, tous ces carrés, losanges et ronds, dentelés, festonnés, ajourés et lustrés, qui ne tiennent pas sur les meubles vernis, cette profusion de bibelots nets, tous ces accessoires d’argent clair, de limpide cristal, de faïences tendres, voilà bien le décor approprié à ce home chéri qu’on quitte si aisément, à cette chambre où l’on n’entre que pour dormir, fenêtres ouvertes, dans un lit mal bordé, à cette dining room où le breakfast rapide et le lunch sommaire ramènent chaque jour le même poisson grillé, le même lard frit, le même rosbif et les mêmes légumes cuits à l’eau. Oui, et c’est la grandeur du peuple anglais, c’est sa force, le fond est resté simple, énergique. Northmans ou Saxons, ou l’un et l’autre à la fois par le mélange des races, hommes et femmes, garçons et jeunes filles, trouvent encore leur plus vif plaisir à chevaucher sous le ciel, à nager ou ramer, à lutter en plein air d’agilité ou d’adresse : seul l’observateur superficiel ne reconnaît pas les cavaliers de jadis dans le cavalier et l’amazone qui galopent le long des allées de Hyde Park, ni les rudes jouteurs du moyen âge dans les gracieux partenaires d’un

  1. « In our fat England, the gardener Time is playing all sorts of delicate freaks in the hues and traceries of the flower of life. Aud shall we not note them ? » (Sandra Belloni.)