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L’admirable scène de l’orage — « Nature speaks » — débute par une allusion à Briarée dont nous ne pénétrons le sens que si nous voyons dans le jeune Richard, comme l’auteur nous y a invités ailleurs, une sorte de Titan nuageux en révolte contre les lois sociales, qui régissent notre monde comme Jupiter gouvernait le monde ancien. Chaque ligne de ces pages compactes a sa portée qu’il faut saisir et mesurer. Tout est combiné, calculé, par un esprit toujours en acte, qui ne néglige rien, ne se laisse rien imposer par la passivité de la mémoire ou de l’imagination. Il pense toujours et les moindres détails sont pénétrés d’intention et de pensée. Les noms ont leur sens : Diana of the Crossways, voilà qui est intraduisible. The Crossways, c’est le nom du domaine familial, et cela signifie les carrefours ou les routes qui se coupent, quelque chose d’analogue à la destinée de Diane. Et Diane, c’est aussi l’exquise Artemis, la vierge farouche, déesse des jeunes filles ; c’est l’idéal féminin, dans sa grâce et dans sa force ; c’est la reine brillante des nuits ; c’est l’Hécate qui préside aux enchantemens ; c’est enfin la déesse des carrefours. Le roman de M. Meredith égale et défie le symbolisme compliqué de la mythologie grecque. Un chapitre de Richard Feverel est intitulé : « The Little Bird and the Falcon. » Le petit oiseau et le faucon, c’est Lucy Desborough et le grand séducteur, lord Mountfalcon. La bonne Berry apporte enfin un peu de tendresse et de secours : A Berry at the rescue, une baie, — pour le petit oiseau. Nous ne pouvons multiplier indéfiniment les exemples et pourtant il faudrait donner une idée de cette incroyable puissance. Le verbe de M. Meredith est celui d’un penseur, d’un artiste et d’un poète : il s’insinue partout à la fois dans notre esprit et frappe à toutes les portes fermées. Pas un coin ne doit rester endormi : il faut que partout s’éveillent les idées et les images, que partout frémissent la pensée et le rêve…

De là ce style déconcertant, qui vise surtout à l’intensité et s’efforce d’être suggestif plutôt que définitif, si contraire à notre idéal français de la perfection achevée et du mot unique. Ne lui demandons point ce contentement, auquel nous sommes habitués, d’une plénitude et d’une clarté absolues. C’est en nous que la pensée doit naître et le tableau surgir : George Meredith ne s’inquiète ni de brosser celui-ci, ni de formuler celle-là. La fin s’impose à lui et il nous jette fiévreusement les moyens, sans mesure et sans choix, avec une hâte qui semble trahir la peur