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déconcerter, il n’est point en leur compagnie comme un phénomène. Si forte est la tradition du roman anglais que les plus indépendans ou les plus rebelles ne lui échappent jamais complètement ; et il serait curieux d’en suivre l’influence chez George Meredith. « Sa manière de conter est une singulière fusion de l’ancienne et de la nouvelle. Ce maître de l’impressionnisme moderne a toutes les habiletés d’un Fielding, unissant ainsi les ressources distinctives des deux écoles[1]. » Il n’est pas sans analogies avec ses grands contemporains. On peut le comparer à Dickens pour la copieuse richesse des détails, l’humour, le sens de la caricature ; à Thackeray pour la finesse et la subtilité des portraits de femmes et pour l’ironie ; à George Eliot pour la gravité des questions qu’il soulève et le sens profond de la vie[2]. Nous avons essayé de montrer par combien de traits il est éminemment anglais et tout ce qu’il y a aussi dans son œuvre de vérité humaine. « Je vois de plus en plus, disait R. L. Stevenson après une lecture de l’Égoïste, que Meredith est bâti pour l’immortalité. » Longtemps inconnu ou méconnu dans son propre pays, il n’aura pas achevé sa carrière sans se voir rendre une éclatante justice. Au mois de février 1898, à l’occasion de son soixante-dixième anniversaire, ses « camarades de lettres » lui envoyèrent une adresse qui est, dans sa noble simplicité, l’hommage des plus grands noms de la littérature anglaise contemporaine. « Du commencement à la fin, vous avez été sincère vis-à-vis de vous-même, et toujours vous avez visé à la plus haute perfection. Nous sommes heureux de voir que vos mérites, reconnus jadis par un petit nombre seulement, ont aujourd’hui un vaste cercle d’admirateurs qui s’élargit de plus en plus. Nous vous souhaitons de longues années encore, durant lesquelles vous puissiez continuer à faire de bon ouvrage, réjoui par la pensée de celui que vous avez déjà fait et encouragé par la certitude qu’il recevra un cordial accueil de nombreux lecteurs pleins de sympathie pour vous. » Parmi les trente signataires de choix, les romanciers Barrie, Thomas

  1. R. Le Gallienne, George Meredith, pp. 48-49.
  2. Peut-être est-ce ici le lieu de rappeler la mémorable tentative de vie en commun qui rapprocha, en 1862, ces rares artistes : Dante Gabriel Rossetti, Swinburne, William Rossetti et George Meredith. Il n’est pas sans importance que M. Meredith ait appartenu si étroitement à ce groupe et nous devons mentionner aussi, parmi les influences propres à expliquer la complexité de son talent, qu’il étudia, comme Carlyle, dans les Universités allemandes.