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détresse peureuse de sa chair, « qui avait honte de se présenter ainsi devant les hommes. » Pauvre insecte de la forêt ! Que pourrais-je pour toi ? Et l’interprète m’a répondu : « Rien ! » Rien pour elle, en effet. Que feront trois, quatre, dix, cent pièces d’argent ? Rien. Elle serait dépouillée vivement au premier tournant de la route. Une Iroulaire ! Qui s’inquiéterait de la protéger ?

Le Père Authemard a pris les enfans. Le petit est confié à une chrétienne qui le nourrira de son lait, la fillette munie d’une poignée de biscuits, — échappés aux rats qui viennent la nuit sur mon lit me ronger les ongles, — sera donnée aux dames autrichiennes de Tindivanam, et c’est moi qui la remettrai à leur couvent ; avec le catéchiste, elle voyagera dans ma charrette… Mais la mère ? La voilà qui s’éloigne lentement, sans tourner la tête, dans la poudre du chemin. Adieu, pauvre insecte de la forêt ! Ni l’argent ni les soins ne te seraient utiles. Abandonnée par son époux, cette Agar retourne au désert finir sa frêle existence, sans espoir de rejoindre son fils perdu dans la broussaille où le léopard saura le trouver sans faute.

La loi des Iroulaires est telle. Si l’adultère de la femme est toujours puni de mort par la tribu tout entière, l’homme rejette l’épouse suivant son seul caprice et, en règle, elle ne doit plus trouver d’époux. Ainsi cette femme nomade disparaîtra, car ni sa grâce, ni sa jeunesse, ne feront qu’il y ait place pour elle dans la société indienne. Et, d’ailleurs, son indépendance sauvage la ferait périr, aussi vite que la faim, dans le dépôt de mendicité, si elle se décidait à pénétrer dans une ville. Même au fort de l’hiver, l’oiseau sauvage ne se réfugie pas sous le toit de l’homme. Tant que ses ailes peuvent le soutenir, il vole de branche en branche. Puis il tombe, ses petites pattes raidies, sur la terre dure. Et son corps frêle retourne à la bonne nature qui le cache dans les feuilles sèches jusqu’à ce qu’il retourne au grand Tout.

Chaque jour m’apporte de nouveaux sujets de tristesse et de découragement. Des vieilles, semblables à des bêtes maigres et mutilées, rampent, se prosternent dans la poussière du chemin, se traînent à genoux, les reins cassés, nous poursuivent. Les hommes passent, saluant de la main, pareils à des spectres couleur de cendre, et telle est leur maigreur qu’on croirait voir des momies marchant. Les côtes saillantes, en cerceaux, brident