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quelques jours dans le dépôt. Avant de contracter leur engagement définitif, ils comparaissent devant le fonctionnaire anglais qui les interroge, séparément, pour savoir si on n’a pas surpris leur bonne foi. De cet engagement les conditions sont assez avantageuses. L’embauchage de tout ouvrier agricole le lie pour une durée de cinq ans, où il devra fournir un travail journalier de neuf heures entre le lever et le coucher du soleil. La paye se monte à sept roupies et demie par mois, environ treize francs. A cela s’ajoute la ration quotidienne de riz ou de millet, de poisson sec, d’huile et de sel. Le logement est assuré ; chaque famille a sa petite paillotte. Les soins du médecin et les remèdes sont gratuits. Au bout des cinq années, le rapatriement est exigible par l’homme et les siens, et aussi s’il contracte un nouvel engagement de deux ans. Pour un temps plus long, le droit au retour gratuit est perdu. Par ces règlemens étroits, on a voulu, semble-t-il, éviter l’encombrement des coolies indiens dans les colonies précitées.

Le contrôle du collecteur est exercé avec la sévérité la plus grande. J’ai vu M. G. Sydney Robert consacrer une après-midi entière du dimanche à régler une soixantaine de contrats. Chaque coolie signe une feuille, en double expédition, où sont relatées les indications les plus minutieuses sur sa naissance, sa famille, ses héritiers, les délégations qu’il consent… Aujourd’hui que j’ai vu de mes yeux les affamés du Carnate, je comprends mieux les physionomies indifférentes ou satisfaites de tous ces émigrans de Vellore, hommes, femmes, enfans, qui allaient abandonner leur pays pour des années, mais avec la certitude de ne plus connaître la faim. Les misérables de Genji n’ont sans doute pas cette ressource de se louer ainsi à l’étranger. Triste terre de Genji ! La métaphore « le pays est rongé jusqu’aux os » cesse d’être une vaine figure. L’implacable sérénité du ciel le ruine plus sûrement que ne le firent les cavaliers de Sivadji ou les bandes de musulmans du Mysore.

Bien des hommes sont heureux, ici, qui vivent de racines, et ils n’en ont pas tous les jours. Avancer que ces pauvres diables meurent absolument de faim ne serait pas véridique. Dans la réalité, ils succombent sous l’inconvénient de la mauvaise nourriture, sous la misère physiologique, pour observer la valeur des mots. Ils enflent, languissent et s’éteignent, sans presque s’en douter. Leur imprévoyance et leur insouciance sont égales :