Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 43.djvu/650

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans oublier toutefois qu’ils étaient l’un et l’autre « capables de tout exactement. » Au reste, dans toutes ces aventures amoureuses, y eut-il jamais quelque amour vrai ? Chi lo sa ? Peut-être eut-elle une fois aussi son roman secret, discret et désintéressé. Les romans qu’elle écrivit plus tard permettraient de le supposer. Mais, si elle les a vécus, nous ne les connaissons point ; nous ne connaissons que ses liaisons publiques, qui sont avant tout des affaires. Elle écrivait un jour à Richelieu, alors que depuis longtemps elle avait pris sa retraite de « femme galante : » « Une femme adroite sait mêler le plaisir aux intérêts généraux, et parvient sans ennuyer son amant à lui faire faire ce qu’elle veut. » On devine assez les « intérêts généraux » qui pouvaient se « mêler » à l’ « amour » d’un lieutenant de police, d’un contrôleur des finances, ou d’un premier ministre. Si nous étions mieux renseignés, nous saurions retrouver ces « intérêts » partout. N’avait-elle pas su enrôler dans sa banque l’aimable chevalier Destouches, et le cas du conseiller La Frenaye n’éclaire-t-il pas tous les autres ?

Il ne faudrait pourtant pas trop s’attendrir sur lui. Charles-Joseph de La Frenaye était « un homme de six pieds et plus de haut, et qui pouvait servir les dames. » Il les « servait » si bien qu’il se ruinait à leur « service ; » et l’honnête Aimée Masseau qu’il avait épousée, en 1718, à l’île de Ré y était revenue mourir de chagrin dès 1720. Avant de devenir un de « Nos seigneurs du Grand-Conseil, » il avait été capitaine de la patache de l’île de Ré et banquier expéditionnaire en cour de Rome. Il était ainsi entré en relations avec Mme de Tencin, lorsqu’elle faisait à son frère des envois d’argent. Comme elle, il s’était enrichi un instant au « Système, » et restait passionné pour le jeu. Ensemble pendant quatre ans, ils firent l’agio et l’amour. A la fin, chacun prétendit que l’autre l’avait volé. Des deux voleurs, soyons sûrs avant toute chose que ce ne fut pas Mme de Tencin la plus volée : « Le caractère de M. de La Frenaye est plein de probité, » avouait-elle à un ami commun. Nous pouvons traduire : le conseiller était un naïf. Il avait placé fictivement sur la tête de sa maîtresse, raconte-t-il lui-même, ce qu’il essayait de soustraire au pillage de ses créanciers. Mme de Tencin prit très au sérieux ces « transports simulés, » et garda tout avec une conscience tranquille : « C’est le moindre paiement que je puisse recevoir pour vous avoir aimé, » répondit-elle aux