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« éminent » élève sont devenues plus tard le Traité du droit public d’Europe. Soyons donc indulgent pour le cardinal. Comme il avait la parole peu facile, le Roi l’avait autorisé à lire ses avis au Conseil. Mably dépouillait le courrier et rédigeait les mémoires, Tencin les lisait, et le Conseil admirait.

Toute cette ingéniosité resta vaine. La guerre de la succession d’Autriche éloigne de Versailles les meilleures forces du parti, Noailles et Richelieu. Entre Mme de Tencin et ce dernier, les lettres confidentielles et chiffrées courent de Paris aux champs de bataille bavarois, mais ne peuvent remplacer l’entente immédiate sur le terrain. Une nouvelle sultane entre à Versailles : la troisième sœur de Nesle, celle qui sera bientôt la duchesse de Châteauroux, remplace Mme de Mailly. Que fera-t-elle, et de quel côté ira-t-elle ?

Mme de Tencin ne lui laisse même pas le temps d’y réfléchir. Elle la veut pour elle, il le faut. Elle l’accable de mémoires, de chansons, de lettres anonymes. Dans les entrevues secrètes qu’elle lui demande coup sur coup, c’est avec une ardente volubilité de paroles qu’elle lui expose sa politique et prétend l’y enchaîner. Mais la favorite se regimbe contre cette amitié tyrannique, envahissante et brouillonne. Quoiqu’elle pense sur le fond comme Mme de Tencin, elle ne veut pas du frère, parce qu’elle craint trop la sœur. Le Roi à son tour s’impatiente : il dit bien haut qu’il « déteste » cette femme ; il lui vient « peau de poule, » dès qu’on lui parle d’elle. Parmi les habiles, on commence à douter de son triomphe ; l’intempérance lancinante de ses désirs fatigue les bonnes volontés et irrite les résistances. Après avoir hissé son frère à des hauteurs inespérées, elle le fait choir près du sommet, en voulant l’y pousser trop vite dans un dernier et brusque élan de conquête. Lui aussi, il aura vu la « Terre promise. » Il y renoncerait d’ailleurs sans regret, pour se retirer sans amertume dans son diocèse. Mais sa sœur ne le souffre point. Il faudra qu’elle meure pour qu’il obtienne le droit au repos. Ni la mort de Fleury, ni celle de la Châteauroux ne l’ont découragée : elle est déjà en quête de la future favorite. Derrière la Pompadour naissante, Mme de Tencin apparaît comme chaperon. Dans le peuple, on dit même qu’elle est sa « marraine, » marraine expérimentée, devenue bien vite une amie, et qui lui souffle son rôle au jour des débuts.

C’est là le dernier geste public de Mme de Tencin.